La pornographie, simple variation de l’érotisme ?

La pornographie serait-elle une variation de l’érotisme, fondée essentiellement sur des principes de transgression des normes ?

 

C’est ce que suggère l’historienne de l’art Julie Lavigne, également professeure au Département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal, dans son livre La traversée de la pornographie, publié récemment aux éditions du Remue-ménage.

 

Julie Lavigne s’est intéressée plus spécifiquement à la pornographie dans l’art féministe, tel qu’apparu durant les années 1990, à travers l’analyse de différentes oeuvres, entre autres d’Annie Sprinkle, de Pipilotti Rist, et de Marlène Dumas. Elle réalise alors que l’érotisme est un terme « assez vaporeux », et qu’il est « difficile d’avoir des balises assez claires pour déterminer si une oeuvre était érotique ou pas ». « La pornographie, c’est l’érotisme des autres », dit une citation attribuée alternativement à Alain Robbe-Grillet et à André Breton, et reprise dans le livre.

 

Une analyse de Roland Barthes veut quant à elle qu’une photographie soit « érotique » lorsqu’elle renvoie à « des éléments qui dépassent le cadre représenté », tandis que dans la pornographie, la sexualité serait centrale, explicite et cohérente.

 

Julie Lavigne identifie par ailleurs une « distinction assez classique » qui veut que toute représentation sexuelle qui relève de la culture populaire ou grand public soit identifiée comme de la pornographie, tandis que « lorsque cette représentation relève du grand art », elle devient érotique.

 

Historiquement, les racines grecques du mot « pornographie » évoquent quant à elles une « description des agissements des prostituées », souligne Mme Lavigne. Ce ne serait que quand furent dévoilées les fresques anciennes de la ville pétrifiée de Pompéi que les « gentlemen » s’en servirent ensuite pour décrire les représentations sexuelles qui ne devaient pas être mises à la portée de tous les regards, ajoute-t-elle.

 

« On avait peur que la population puisse s’en servir de façon inappropriée », relève-t-elle. La pornographie a ensuite désigné un outil de subversion sociale, qui servait entre autres à éclabousser les politiciens de scandales sexuels. Puis, la pornographie est devenue « hard core », pour n’être plus qu’une représentation de la sexualité pour elle-même.

 

Mme Lavigne évoque par ailleurs les codes très stricts qui déterminent ce qui est classé comme de la pornographie aujourd’hui. L’un d’entre eux veut qu’il y ait un vrai rapport sexuel, avec jouissance explicite, voire éjaculation, ce qui confirmerait son orientation masculine.

 

Réappropriation de la jouissance

 

À mi-chemin entre la parodie de la pornographie, sa critique et son imitation, les oeuvres analysées par Julie Lavigne témoignent en tout cas certainement d’une réappropriation de la jouissance des femmes par elles-mêmes : « Lorsqu’on regarde plus attentivement la scène d’éjaculation dans The Sluts and Goddesses Video Workshop [d’Annie Sprinkle], il est difficile de déterminer s’il s’agit d’éjaculation féminine ou d’urine, écrit Lavigne. La nature excessive de ladite éjaculation et le contexte humoristique de l’atelier nous poussent à remettre en question l’authenticité de la scène. »

 

C’est un champ de réflexion en constante évolution, relève Julie Lavigne. Une réflexion dont on aurait tort de se priver, dans le contexte où la pornographie se déploie sur nos écrans, petits et grands, de façon exponentielle.

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