L'assassinat déclencheur de la guerre 14-18

La une du numéro spécial du quotidien français l’Excelsior (« plus haut » en latin) résumant les numéros parus du 28 juin au 2 août 1914.
Photo: Historial de Péronne/Agence France-Presse La une du numéro spécial du quotidien français l’Excelsior (« plus haut » en latin) résumant les numéros parus du 28 juin au 2 août 1914.

Un assassin politique qui s’appelle Princip, ce n’est déjà pas banal. Un double meurtre qui en entraîne des millions et des millions d’autres, c’est tout aussi extraordinaire.

 

Il s’appelle donc Gavrilo Princip. C’est lui qui assassine l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l’Empire austro-hongrois, et son épouse la duchesse de Hohenberg à la fin de l’avant-midi du dimanche 28 juin 1914, à Sarajevo, il y a donc tout juste 100 ans.

 

L’événement est considéré comme le déclencheur de la Première Guerre mondiale, qui a notamment comme conséquence la chute de quatre grands empires (austro-hongrois, allemand, russe et ottoman), la formation de l’URSS, mais aussi la Deuxième Guerre mondiale et l’holocauste. Un attentat comme un big bang pour refonder le monde.

 

The Wall Street Journal vient de comparer Princip à Oussama ben Laden. Tout est si simple avec un seul grand coupable. Tout est pourtant si compliqué dans la poudrière des Balkans où l’Est et l’Ouest s’affrontent depuis au moins trois millénaires.

 

Hommages aux antipodes

 

Une grande cérémonie du centenaire de commémoration est appelée pour le 28 juin à Sarajevo. On doit y dévoiler un nouveau monument à la mémoire de l’archiduc. Un marqueur historique décrivant le double assassinat comme une « protestation populaire contre la tyrannie » a été retiré après la guerre intercommunautaire de Bosnie qui a fait 100 000 morts entre 1992 et 1995.

 

Les Allemands et les Français y seront, mais pas les Serbes. Ils préparent leur propre hommage à Gavrilo Princip, toujours considéré comme un héros ayant abattu un « tyran ». Plusieurs monuments à son honneur seront donc inaugurés en Serbie où on trouve toujours très injuste de décrire le héros national et ses complices comme des terroristes.

 

Un impromptu

 

L’archiduc François-Ferdinand choisit mal le moment de sa visite à Sarajevo. Le 28 juin (ou le 15 juin selon le calendrier julien) marque la Saint-Guy, la Vidovdan. Cette fête nationale commémore la grande défaite serbe du 15 juin 1389 à Kosovo Polje, entraînant cinq siècles de domination ottomane, de grandes migrations et des insurrections.

 

La Serbie a retrouvé son indépendance en 1882. Elle devient une monarchie constitutionnelle au tournant du siècle. En 1912 et 1913, les guerres des Balkans achèvent le démantèlement de l’Empire ottoman dans la région et font du royaume serbe la grande puissance autonome de la péninsule, au déplaisir de Vienne.

 

Les comploteurs sont une dizaine, liés au groupuscule Jeune Bosnie, pétri d’idéaux anarchistes et communistes qui accueille des Serbes, des Bosniaques et des Croates soudés dans la haine de l’empire austro-hongrois. Après son arrestation, Gavrilo Princip, né en 1894 dans une famille pauvre serbe de Bosnie, expliquera avoir agi pour la jugo slavija, l’« État slave du sud » rêvé pour la région-mosaïque.

 

Une panique

 

Les jeunes s’arment et se répartissent le long du parcours princier dans la grande ville bosnienne. Le noble convoi compte six voitures. Un premier conjurateur placé en surplomb ne trouve pas l’angle de tir favorable. Un second lance une bombe qui bondit de la voiture de l’archiduc jusque dans le fiacre suivant, faisant plusieurs morts et blessés. Le terroriste avale alors une capsule de cyanure éventée et se lance dans la rivière Mijacka où la foule le récupère et le bat.

 

La panique subséquente empêche plusieurs autres conjurés d’agir. L’archiduc tient ensuite à visiter le chevet des blessés de l’attentat. Son carrosse se trompe de route, doit faire demi-tour et se retrouve à l’arrêt parmi la foule. C’est là que Princip tire ses deux coups. La première balle atteint la duchesse Sophie au torse, la seconde perce le cou de l’archiduc. Les deux nobles meurent rapidement. Princip ne réussit pas non plus à se suicider.

 

L’événement a des conséquences tragiques pour une Europe déjà au bord de l’abîme, en surtension. L’Autriche-Hongrie accuse la Serbie d’avoir tué son prince héritier, bien que Princip jure avoir agi sans cette influence. Les conseillers de l’empereur se divisent, une partie plus ferme souhaitant l’invasion immédiate du royaume sans déclaration de guerre. Le Reich allemand assure Vienne de son soutien indéfectible en cas de conflit.

 

Un ultimatum est déposé le 7 juillet. Le 25, le gouvernement serbe refuse que des policiers autrichiens poursuivent l’enquête sur son territoire. Les liens diplomatiques se tendent puis se disloquent. Le 28 juillet, une guerre dite « préventive » est déclarée contre la Serbie. Le jeu des alliances entraîne vite le monde entier dans un conflit infernal.

 

Une cause ?

 

L’attentat de Sarajevo doit-il donc être considéré comme l’élément déclencheur de la Première Guerre mondiale, pour ne pas dire de l’entrée véritable dans le XXe siècle ? Dans son Introduction à la philosophie de l’histoire, sa grande thèse de doctorat publiée en 1938, Raymond Aron montre que pour expliquer un événement historique, il suffit de lui appliquer une hypothèse négative.

 

L’exemple classique demande si la bataille de Marathon en 490 avant notre ère explique en partie la diffusion du modèle démocratique athénien. La réponse souligne que sans cette victoire décisive de la première guerre médique, les Perses auraient soumis les cités grecques et imposé une domination despotique. CQFD.

 

De même, sans l’attentat de Sarajevo, les alliances auraient peut-être joué autrement pour faire basculer le monde en guerre. Cette grande catastrophe a plusieurs causes, dont l’impérialisme et l’entêtement spartiates des leaders masculins, aristocrates comme républicains. Dans son livre Les somnambules, sur les sources de 1914-1918, l’historien Christopher Clark explique que toutes les grandes puissances ont une responsabilité partagée dans le déclenchement de la première autodestruction de l’Europe. Il demeure toutefois indéniable que l’assassinat du 28 juin 1914 a agi comme une allumette auprès d’un baril de poudre.

 

Ironiquement, un mois plus tard, le 28 juillet, jour du déclenchement officiel de la guerre, Gavrilo Princip célèbre son 20e anniversaire de naissance. Tous les membres du complot, sauf un, ont aussi moins de 21 ans et ne peuvent donc être condamnés à mort.

 

L’assassin au drôle de nom est condamné à 20 ans de réclusion. Il meurt de tuberculose dans sa prison de la garnison de Terezin le 28 avril 1918. Par une autre vilaine ironie de l’histoire, cette prison était celle-là même qui allait devenir le camp de concentration nazi de Theresienstadt.

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