Le maire de Gaspé a voyagé aux frais de Roche

L’ingénieur ne peut être identifié. Il témoigne derrière un paravent et sa voix est modifiée. 
Photo: CEIC L’ingénieur ne peut être identifié. Il témoigne derrière un paravent et sa voix est modifiée. 

L’ancien maire de Gaspé François Roussy s’est bel et bien rendu à Paris et à Saint-Malo aux frais de la firme de génie Roche, a soutenu lundi un ex-ingénieur de cette firme devant la Commission Charbonneau.

L’ex-ingénieur des firmes BPR et Roche, qui témoigne derrière un paravent, se trouve ainsi à contredire l’ex-maire Roussy, qui avait nié que Roche avait payé son voyage, lorsque l’histoire avait été rapportée par certains médias, au cours des dernières semaines.

Le témoin non identifié a toutefois admis que comme il l’avait soutenu, l’ex-maire Roussy devait au départ y aller à l’invitation de l’Association des ingénieurs-conseils. Sauf que les choses avaient changé entre-temps et les autres firmes de génie ont eu des problèmes d’horaire, ce qui fait que seule Roche a défrayé les coûts du voyage.
Ce voyage comptait une portion à Saint-Malo et une autre à Paris et avait cours dans le cadre des fêtes du 475e de Gaspé.

«On a fait beaucoup de terrasse», a rapporté le témoin, soulignant qu’à Paris, l’hôtel payé était situé à côté de la Tour Eiffel.

À l’époque, Roche lorgnait de gros contrats reliés à l’eau potable à Gaspé, un premier à Rivière-au-Renard et deux autres à venir — un potentiel de 20 à 50 millions $ de travaux, soulignent les dirigeants de Roche dans un courriel.

Dans le cadre de cet octroi de mandat à Roche, l’ex-maire Roussy a demandé à la firme d’investir en revanche dans la communauté, en relançant par exemple une équipe locale de hockey et en participant à un fonds d’aide local.

Roche devait y injecter quatre pour cent de la valeur de ses mandats. «Au départ, la Ville exigeait 15 pour cent de ristourne. Mais on a fait comprendre que c’était impossible de donner plus que les profits qu’on peut retirer d’un tel projet. Tout ça s’est terminé avec une ristourne de quatre, des fois cinq pour cent», a précisé le témoin.

La Ville de Gaspé a aussi exigé que le mandat de Roche soit partagé avec des firmes locales. «Une fois que la Ville a décidé de travailler avec Roche, il y avait une condition: on vous le donne, mais vous devez obligatoirement sous-traiter avec des firmes que le maire et le dg nous ont identifiées. Ce n’était pas une entente de sous-traitance entre firmes privées — ce qui devrait être normal — c’était une imposition politique», a tranché le témoin.

«L’entente était de 150 000 $ ou 160 000 $ qui allait être retourné par l’ensemble des quatre firmes qui travaillaient sur le projet», a noté l’ingénieur non identifié. Ces fonds aidaient toutefois la communauté.

«Ils ont mis beaucoup de pression pour négocier quelque chose comme ça, qui était à la limite du tolérable ou du raisonnable», a-t-il commenté.

Le prochain témoin sera Bruno Lortie, ancien directeur de cabinet de la ministre Nathalie Normandeau. Il a été décrit par d’autres témoins comme un homme au caractère difficile, influent, mais en qui la ministre avait pleine confiance. Il était également très proche de Marc-Yvan Côté, un ancien ministre libéral qui a été employé, puis consultant pour la firme de génie Roche.

Roche a eu accès à une «information extrêmement privilégiée»
En avril 2008, avant même que le projet auquel elle travaille à Cap-aux-Meules soit signé par les fonctionnaires, encore moins annoncé par le ministère, la firme de génie Roche applaudissait, car elle savait qu’il serait subventionné.

Des courriels déposés lundi devant la Commission Charbonneau font état des échanges entre un vice-président de Roche, André Côté, et le témoin A, qui ne peut être identifié.
Les deux hommes se félicitent du fait que la ministre Nathalie Normandeau, des Affaires municipales, va bientôt annoncer la subvention au projet Cap-aux-Meules—Fatima.

«Vérification faite vrai, mais pas de date d’annonce, cependant. Ce serait supposément avec Chantier Canada qui doit être annoncé officiellement la semaine prochaine», écrit André Côté au témoin non-identifié.

Le témoin, qui a travaillé chez BPR, puis Roche, a souligné à la commission qu’ils ont visiblement bénéficié d’informations «extrêmement privilégiées», puisqu’ils étaient alors au courant de l’annonce de la subvention au projet de Cap-aux-Meules—Fatima avant même que les fonctionnaires du ministère aient signé les documents et que la ministre ait annoncé la subvention.

Il y voit la preuve que la décision a été politique.

La CEIC rend hommage au commissaire Macdonald décédé
Avant que le témoin non-identifié poursuive son témoignage amorcé la semaine dernière, la commission a rendu hommage au commissaire Roderick A. Macdonald, décédé au cours des derniers jours.

Le troisième membre de la commission, malade, n’a jamais participé aux audiences en public, mais a fait du travail pour la commission dans l’ombre, a rappelé la juge France Charbonneau.

«Si la maladie a privé le professeur et commissaire Macdonald de siéger à nos côtés, elle ne l’a pas empêché de se dévouer corps et âme, notamment en participant à diverses réunions du comité de direction», a noté la juge Charbonneau.

La juge lui a rendu hommage en français et en anglais, soulignant sa droiture et sa gentillesse. «Je ne connaissais pas l’homme. Lorsque je l’ai vu entrer dans mon bureau, il n’a suffi que d’un seul regard dans le bleu profond de ses yeux pour apercevoir toute sa vivacité d’esprit, sa bonté d’âme, sa générosité, sa mansuétude et sa droiture», a-t-elle affirmé.

Tous les employés de la commission étaient présents dans la salle. Plusieurs étaient vêtus de noir.

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