Quel français standard?
La norme du français parlé au Québec n’est plus tout à fait celle qui prévaut à Paris, Genève, Bruxelles, Dakar et toutes les grandes villes d’expression française. Elle s’en distingue du point de vue de la prononciation, mais, par contre, elle est tout à fait comparable à celle du français standard international du point de vue grammatical, a souligné Davy Bigot dans le cadre du congrès de l’Acfas.
Selon ce professeur à l’Université Concordia, la norme correspond au français parlé par les élites québécoises lorsqu’elles sont en situation de communication formelle. « Dans l’histoire du français, il en a toujours été ainsi. La première grammaire du français standard en France, un ouvrage de Vaugelas intitulé Remarques sur la langue française [qui a été publié en 1647], décrit le français de la cour du roi, voire de la plus saine partie de la cour du roi, comme le disait son auteur, soit l’élite de l’élite », précise le sociolinguiste.
Pour déterminer quel est le français standard réellement en usage au Québec, Davy Bigot a analysé le discours de 110 personnes faisant partie de l’élite québécoise au moment où elles accordaient une entrevue à l’émission Le point de Radio-Canada. Il a disséqué le langage de 25 politiciens, 22 hauts responsables d’entreprise, 20 universitaires, 14 artistes (écrivains, comédiens, chanteurs), 11 juges ou avocats, 10 médecins, trois hauts gradés de la police ou des pompiers, trois sportifs et deux cardinaux.
Variantes linguistiques
M. Bigot a porté son attention sur 14 variantes linguistiques d’ordre grammatical utilisées couramment au Québec, comme les démonstratifs « ce, cet, cet », que typiquement les Québécois prononcent « cte » en communication familière, comme dans « cte gars-là » ou « cte fille-là ».
La grande majorité de l’élite (90,5 %) employait bien le « dont » dans les relatives indirectes plutôt que le « que », comme dans « la personne que je te parle », couramment utilisé dans le français vernaculaire, « et pas seulement québécois ». La prononciation du participe passé du verbe « faire » était conforme à la norme internationale chez 90 % des locuteurs, alors que 10 % prononçaient le « t » final alors qu’il n’y a pas lieu grammaticalement, comme dans « j’ai faite mon travail ».
La double négation, telle que « y a pas personne qui est venu » ou « j’ai pas rien fait », n’était pas non plus très répandue, car 92 % des locuteurs avaient recours à la forme adéquate, qui se dit respectivement « personne n’est venu » et « je n’ai rien fait ».
Alors que dans le québécois familier, on utilise fréquemment l’auxiliaire avoir devant les verbes de mouvement, comme dans « j’ai passé par la rue Sainte-Catherine », 94,5 % des élites employaient l’auxiliaire être comme il se doit dans « je suis passé par la rue Sainte-Catherine ».
Le « l » ou le « n » après « ça », comme dans « des oeufs, ça l’en prend deux » ou « ça n’en prend », au lieu de « ça en prend deux » sont des « l » et « n » de liaison qui n’ont pas d’existence grammaticale, et 92 % des élites évitent cet emploi qui est non étymologique.
La transformation de « tous » en « toute » avec le « t » final sonore, comme dans « toute mes chums sont venus », par exemple, n’était faite que par 3 % des locuteurs. Un peu plus de 97 % des élites adoptant la forme normative.
Les interrogatives directes standard, comme « peux-tu venir ? », « qu’est-ce que tu as fait ? » ou « est-ce qu’il va venir ? », étaient employées par 80 % des sujets par rapport aux formes familières comme, « tu peux-tu venir ? », « kessé qu’t’as fait ? », ou « y vas-tu venir? ».
Les relatives et les interrogatives indirectes de référence, comme « je me demande ce que je fais faire », étaient utilisées en grande majorité (95,4 %) par l’élite comparativement à « je me demande qu’est ce que je vais faire », « kessé que je vais faire », ou « kossé que c’est que je vais faire ».
L’emploi de la forme vernaculaire « quand que je vais venir », où la conjonction « quand » est suivie de « que », était aussi rarissime (3,5 %) au sein de l’élite et c’est plutôt la forme standard « quand je vais venir » qui prévalait.
L’expression du conditionnel en « si » suivi de l’imparfait était bien intégrée par 94 % des représentants de l’élite observés.
Chez 20 % des locuteurs, toutefois, la prononciation de « je vais » se mutait en « j’vas manger une pomme » ou « m’as manger une pomme », qui sont des formes vernaculaires typiques du français familier québécois et du français parlé dans les provinces canadiennes situées à l’ouest du Québec, précise M. Bigot.
Deux exceptions
Il est apparu que la grande majorité des élites utilisaient les formes grammaticales du français international à l’exception de deux variantes. Celle d’abord du présentatif « c’est » plutôt que « ce sont », comme dans « c’est mes amis ». « Cela n’est pas spécifique au Québec, car Le bon usage de Grevisse précise que la forme “ c’est ” n’est plus une erreur, puisque la majorité des gens l’utilisent », indique M. Bigot. D’autre part, l’emploi du futur simple a été supplanté par le futur périphrastique « je vais manger une pomme ». «Cette forme est devenue de plus en plus courante depuis 30 ans au Québec, affirme-t-il, avant de préciser que le futur simple, quant à lui, est employé essentiellement dans les phrases négatives. On dit par exemple: « je vais manger une pomme. Mais je ne mangerai pas une poire».
À l’exception de ces deux variables, le français parlé par l’élite québécoise est tout à fait standard et similaire à la forme internationale, qui est celle que l’on retrouve dans la grammaire Le bon usage de Grevisse, laquelle n’est pas une grammaire française, mais belge, souligne Davy Bigot.
En matière de prononciation, par contre, les linguistes Cox et Reinke ont relevé huit traits typiquement québécois chez les lecteurs de nouvelles qui se distinguent de la norme du français international.
Parmi les plus typiques, on trouve l’assibilation de « t » et « d » devant les sons « i » et « u », qui fait que « tu dis », par exemple, sonne comme « tsu dzis ». Les Québécois font aussi la distinction entre le « a » de « patte » et celui de « pâte », ce que ne font pas les Français de France. « Le « â » est une trace d’un « s » flottant de l’ancien français », fait remarquer M. Bigot.
Une autre particularité québécoise qui a disparu en France est le maintien des quatre voyelles nasales « lin », « l’un », « long » et « lent » que les Québécois prononcent, alors que les Français ne font plus la distinction entre « lin » et « l’un ».
Au Québec, on a également retenu l’opposition entre le son « è » de « renne » et celui de « reine », qui dans le cas de « reine » est plus long.
Somme toute, la norme du français en usage au Canada, qui est en quelque sorte le bon parler québécois, ne se distingue de la norme du français international que par quelques traits de prononciation.