Mobilisation massive contre la surveillance

À problème sournois, réponse massive. Un vaste groupe de scientifiques, universitaires et défenseurs des libertés civiles au pays se prépare à dévoiler dans les prochains jours une déclaration commune appelant le gouvernement fédéral à une plus grande retenue en matière de surveillance numérique des citoyens, mais aussi à la mise en place de balises plus claires et transparentes en la matière. Baptisé « Déclaration d’Ottawa sur la surveillance de masse au Canada », le document, dont Le Devoir a pris connaissance, réclame également une mise à jour des lois protégeant la vie privée, lois que les vies numériques sont en train d’éroder.
Alors que le gouvernement fait face à de nouvelles critiques après l’introduction dans un projet de loi omnibus sur le budget — le C-31 — une disposition facilitant le transfert de données personnelles, sans mandat d’un tribunal, entre l’Agence de revenu et les forces policières, les signataires de cette déclaration n’appellent à rien de moins qu’à la fin immédiate de cette pratique décriée depuis plusieurs années. « Tous les changements législatifs susceptibles de toucher l’information, le droit à la vie privée et à la liberté doivent être présentés, justifiés et débattus dans la transparence, écrivent-ils en substance. Aucun de ces changements, affectant l’encadrement de la vie privée, ne doit être enchâssé dans des projets de loi omnibus ou des règlements liés à d’autres sujets. »
Le sociologue David Lyon, titulaire de la Chaire de recherche et d’études sur la surveillance de l’Université Queen’s, est l’un des signataires de cette déclaration, aux côtés d’Open Media, de l’International Civil Liberties Monitoring Group et de l’Association canadienne des libertés civiles — entre autres. Il estime qu’un tel virage est nécessaire, pas seulement pour redonner confiance aux citoyens dans les institutions publiques, mais également pour s’assurer de ne pas bâtir aujourd’hui une société dans laquelle nous n’allons pas vouloir vivre demain.
« À l’ère d’une numérisation grandissante des activités humaines et des dérives liberticides que cela fait poindre, il est important de se poser de petites questions sur l’impact de cela sur nos vies privées individuelles, même si ce ne sont pas les plus importantes », dit l’homme qui, jeudi matin, va prendre la parole à Montréal dans le cadre du colloque « Mobilité et traces dans l’espace public » organisé à l’UQAM. « Ce qui est important aujourd’hui, c’est de se demander dans quelle société nous voulons vivre. Une société mue par la suspicion ou la confiance ? Par l’indifférence ou la compassion ? Par le profilage ou la reconnaissance ? »
L’homme vient de diriger un essai collectif intitulé Vivre à nu, la surveillance au Canada, dans lequel il déplore l’acceptation sociale de la surveillance étatique, alors qu’elle devrait pourtant éveiller le rejet. « Dans les réseaux sociaux, les gens se surveillent les uns les autres, dit-il. Cela a tendance à rendre plus acceptable la surveillance de masse. Pourtant, il y a danger. Ce faisant, nous pourrions ancrer doucement et profondément des mesures de surveillance qui, à terme, pourraient facilement devenir des outils d’oppression. »
Devant cette perspective, M. Lyon estime que les universitaires comme lui ont d’ailleurs l’obligation de faire sortir leur parole et réflexion du monde universitaire pour la transporter sur la place publique. « Les données numériques nous placent à un moment charnière, dit-il. La déclaration d’Ottawa le reconnaît et dit au gouvernement de se pencher sur ces transformations numériques et ces conséquences sociales avec un peu plus de sérieux et d’ouverture qu’en ce moment. Au bénéfice de tous. »