Les dernières lettres d’un condamné à mort

Marie-Pierre tient un rôle de soutien et de confidente auprès d’un condamné à mort incarcéré dans une prison du Texas, aux États-Unis.
Photo: Annik MH de Carufel - Le Devoir Marie-Pierre tient un rôle de soutien et de confidente auprès d’un condamné à mort incarcéré dans une prison du Texas, aux États-Unis.

Ils sont nombreux, partout dans le monde, à correspondre avec des détenus pour adoucir leurs jours. Les uns ont la liberté, les autres ont tout leur temps pour échanger. L’une de ces correspondantes, Marie-Pierre, tient ce rôle de soutien, de confidente, d’amie, auprès de Willy Trottie, un condamné à mort dans une prison du Texas. La fin de semaine dernière, elle lui a rendu visite pour la première fois. De retour à Montréal, elle a confié au Devoir comment elle reçoit autant qu’elle donne dans cette relation, qui pourrait se terminer bientôt par une exécution.

Elle se passionne de flamenco, vit à Montréal où elle travaille comme documentaliste. Il croupit dans une prison du Texas où il est condamné à mort depuis 1993. Elle est agoraphobe et veut taire son nom de famille. Il se dit sociable. Depuis 2000, il vit en confinement. Il n’a touché à aucune autre personne qu’au personnel de la prison et il passe 22 heures par jour seul dans sa cellule. Il reçoit sa nourriture à travers un trou dans sa porte. Il n’a pas accès à un ordinateur. En mars dernier, il a perdu son dernier recours en Cour suprême pour faire commuer sa peine. Willy Trottie pourrait être exécuté d’un mois à l’autre.

 

Elle a trouvé son nom dans une liste de prisonniers condamnés à mort qui cherchaient des correspondants. Dans sa lettre de présentation, il disait qu’il était de signe astrologique Vierge, qu’il était veuf et qu’il avait beaucoup à partager. La cause des détenus la touchait et elle souhaitait leur venir en aide.

 

« Ces gens-là ont besoin d’être en relation avec des gens qui ne les jugent pas », dit-elle.

 

Depuis octobre 2012, ils s’écrivent. Au sujet de tout : la danse, leurs histoires respectives, leurs quêtes.

 

De longues lettres aux caractères serrés, couvrant plusieurs pages, pleines d’empathie de part et d’autre. « C’est un giver, raconte-t-elle. Il me soutient beaucoup. »

 

Confinement solitaire prolongé

 

Elle est blonde aux yeux bleus. Il a la peau noire, comme bien des détenus aux États-Unis. Elle a 35 ans et il en a 45. Il est condamné à mort pour le meurtre de sa femme, qui était la mère de son fils, et de son beau-frère, survenu en 1993. Il avait 24 ans. Il a tenté en vain d’obtenir une commutation de peine pour procès inéquitable, parce qu’il dit ne pas avoir eu accès à une défense.

 

« C’est un Noir, et les avocats ne s’occupent pas des Noirs », dit Marie-Pierre.

 

La fin de semaine dernière, Marie-Pierre a pris l’avion pour aller rencontrer pour la première fois Willy Trottie, son correspondant, dans la prison de Polunsky, où 300 prisonniers attendent d’être exécutés, à Livingston, au Texas.

 

Durant huit heures sur deux jours, ils se sont parlé à travers une vitre, au moyen d’un téléphone.

 

Elle l’avait vu en photo. Elle dit qu’il paraît dix ans de moins en vrai. « Il rayonne », dit-elle à son sujet.

 

Le confinement prolongé que vit Willy Trottie en prison pourrait être considéré comme de la torture par Amnistie internationale.

 

Dans son Manuel pour des procès équitables, l’organisme affirme en effet que le confinement solitaire ne devrait être qu’une mesure exceptionnelle, appliquée pour la période la plus courte possible, sous supervision judiciaire, avec des mécanismes de révision incluant la possibilité d’une révision judiciaire.

 

Chaque fois qu’il sort dans la cour de la prison ou qu’il en revient, Willie doit se déshabiller complètement pour la fouille.

 

Comme ils ne peuvent pas jouer au Scrabble face à face, les détenus doivent se crier leurs coups, et poursuivre la partie, chacun sur son plateau de jeu.

 

Dans la cour, ils ne peuvent s’envoyer le ballon que par-dessus une grille. Et encore, ces derniers temps, ils ont été longtemps privés de ballon. « Ils ont imposé ce confinement en 2000, après que sept détenus eurent tenté de s’évader », raconte Marie-Pierre.

 

En attente de son exécution

 

Lors de leur rencontre la semaine dernière, elle lui a demandé de raconter ce qui l’avait mené en prison. Il lui a raconté une scène compliquée de malentendus, de garde d’enfant, de problèmes d’argent et de rage. Willy Trottie a été abandonné dans un motel par sa mère avant l’âge de 10 ans. La carence affective a peut-être fait le reste.

 

Ils n’ont pas beaucoup parlé de la prison. « Je pense qu’il a surtout besoin de parler d’autre chose, pour s’évader », dit-elle. Willy Trottie entretient une correspondance avec d’autres personnes.

 

Et Marie-Pierre ne sait pas si elle reverra Willy Trottie vivant.

 

Huit personnes seront autorisées à assister à son exécution. Quatre du côté du condamné et quatre du côté de la victime.

 

« Le parcours fait en sorte qu’ils ne se rencontrent pas », raconte Marie-Pierre.

 

Elle ne sait pas non plus de quel côté se tiendra le fils de Willy, qui est aussi celui de la victime. Willy ne l’a pas vu depuis un an, ne l’a pas touché depuis des années.

 

Marie-Pierre, quant à elle, affirme qu’elle préférerait être près de lui plutôt qu’à des kilomètres du Texas, à Montréal, au 18e étage de l’immeuble où elle vit, au moment de l’exécution. « Depuis que je l’ai vu, ça n’est plus pareil, dit-elle. Il a une qualité de présence comme je n’en ai jamais vu chez personne. » Sans doute parce que ses jours, ses minutes, sont comptés…

 

Et puis, on aime toujours mieux ne pas être trop loin lorsque se meurt un ami.

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