Des sinistrés de la rivière Richelieu dans une bataille juridique contre Québec et Ottawa?

Des sinistrés de la rivière Richelieu s’adresseront à la Cour supérieure mardi dans l’espoir d’intenter un recours collectif contre les gouvernements du Québec et du Canada évalué à plus de 200 millions de dollars.
Le requérant, Denis Dupuis, fait partie des 300 ménages qui ont dû être évacués lors des crues printanières de 2011.
La cause pourrait toucher plus 3000 personnes, estime Alain Arsenault, l’avocat qui pilote le dossier avec Gilles Gareau. Les deux juristes ont fait équipe dans un recours collectif de 12 millions contre les frères de Sainte-Croix.
L’affaire soulève des points de droit importants, et elle pourrait bien avoir une influence sur les recours collectifs intentés à la suite de la tragédie de Lac-Mégantic.
Crues historiques
La résidence de M. Dupuis est située en dehors des zones inondables, à Saint-Jean-sur-Richelieu. Avant les crues historiques d’avril 2011, il n’avait jamais connu d’ennuis.
Le lac Champlain, où la Richelieu prend sa source, a gonflé de 31 mètres au-dessus du niveau de la mer en 2011, soit un peu plus que lors des inondations marquantes de 1976 et 1993.
L’eau est montée à plus de 30 cm dans la résidence de M. Dupuis. Ce n’était que le début de ses malheurs.
Il a dû vivre chez sa belle-fille pendant les huit mois qu’ont duré les travaux, une aventure parsemée de stress et de détresse psychologique.
M. Dupuis a englouti 135 000 $ en rénovations. Il a relevé la maison à plus d’un mètre du sol, installé une membrane d’étanchéité, un drain, etc.
Dans le cadre du programme d’aide du gouvernement du Québec (une enveloppe de 40 millions), M. Dupuis a obtenu près de 160 000 $. Il réclame plus de 240 000 $ en dommages matériaux, et 50 000 $ en dommages moraux.
Selon Me Arsenault, les gouvernements du Québec et du Canada ont fait preuve d’une « négligence chronique » dans la gestion des crues sur la Richelieu.
En 1937, Ottawa a entrepris des démarches officielles pour remédier au problème, avec la construction d’un barrage à l’île Fryers et le dragage de la rivière. Les travaux étaient estimés à 500 000 $ (8,2 millions en dollars d’aujourd’hui).
Le barrage fut construit deux ans plus tard, mais le projet de dragage fut remis aux calendes grecques.
Encore en 1975, le sujet est revenu à l’ordre du jour des discussions bilatérales entre le Canada et les États-Unis. Cette fois, il fut question de construire un barrage avec vannes de contrôle dans les rapides de Saint-Jean et de draguer la rivière au coût de 6,4 millions (28,5 millions en dollars constants). Les travaux ne furent pas réalisés.
« Le gouvernement fédéral était au courant des problèmes de longue date, mais il n’a rien fait », déplore Alain Arsenault.
Selon lui, le gouvernement du Québec a aussi une part de responsabilité puisqu’il est « le propriétaire du lit des lacs et des cours d’eau navigables et flottables jusqu’à la ligne des hautes eaux » en vertu du Code civil.
À titre de « gardien d’un bien », Québec « a négligé de prendre les mesures appropriées » pour dompter la Richelieu, affirme la requête. Ce faisant, le gouvernement provincial a porté atteinte au droit à la sécurité de Denis Dupuis.
Une cause difficile
Puisqu’Ottawa a indemnisé en partie les sinistrés, il estime qu’il est exonéré de toute responsabilité civile. L’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif prévoit en effet que le fédéral ne peut pas être poursuivi pour des pertes (décès, blessures ou dommages) ouvrant droit au paiement d’une indemnité.
Si cette logique prévaut en Cour, les sinistrés de Lac-Mégantic auront de grandes difficultés à poursuivre le gouvernement fédéral, prédit Me Arsenault. Ottawa leur a déjà accordé une aide de 60 millions.
La cause est loin d’être gagnée. Me Arsenault et Me Gareau doivent d’abord convaincre un juge d’autoriser le recours. Quatre journées d’audiences ont été prévues, à compter de mardi, simplement pour décider du bien-fondé de la cause.
Si la Cour supérieure autorise le recours, il sera entendu sur le fond à une date ultérieure, par un juge de la Cour du Québec.
Le gouvernement fédéral était au courant des problèmes de longue date, mais il n’a rien fait