La métropole vue du ciel

Du sommet de L’Altitude, gratte-ciel de 33 étages à l’angle des rues University et Cathcart, des visiteurs contemplent les vues du centre-ville de Montréal.
Photo: - Le Devoir Du sommet de L’Altitude, gratte-ciel de 33 étages à l’angle des rues University et Cathcart, des visiteurs contemplent les vues du centre-ville de Montréal.

Le ciel de Montréal se remplit de gratte-ciel qui changeront le visage de la métropole. Gros plan sur ce nouveau mode de vie urbain et ses impacts sur un centre-ville de plus en plus convoité.

Du haut de son nid d’aigle au sommet du nouveau gratte-ciel de 124 mètres L’Altitude, Louis Bourassa contemple le coucher du soleil teinter l’édifice de la Sun Life, lécher la Place Ville-Marie, roussir la brique rouge de La Baie avant de fondre derrière le mont Royal. Hier, il allait à la Place des Arts à pied ; demain, il trottera jusqu’à son bureau en trois minutes. « J’ai vraiment l’impression de sentir la ville. D’être dans la ville, de la vivre et de la voir comme je ne l’ai jamais vue », dit-il.

Après 20 ans de vie « en banlieue », ce résidant de la région métropolitaine s’est offert un cadeau, littéralement tombé… des cieux. C’est en rageant contre le bouchon de 90 minutes que lui a infligé pendant trois ans un chantier de construction au coeur du centre-ville qu’il a levé un jour les yeux au ciel pour découvrir la source de son casse-tête quotidien. « J’ai découvert ce gratte-ciel qui s’érigeait dans la rue University. Ça a piqué ma curiosité. J’ai été conquis par le projet de ces constructeurs, contre qui j’avais pesté tout ce temps. J’ai plongé. J’étais mûr pour changer complètement de style de vie. “If you can’t beat them, join them !”», conclut-il.

Ce quinquagénaire fait partie d’une nouvelle vague de Montréalais prêts à embrasser la vie en hauteur et, pour certains, à troquer leur résidence pour un refuge en plein ciel. Un mode de vie en pleine effervescence, alors que des dizaines de gratte-ciel de plus de 20 étages s’apprêtent à transformer la silhouette du centre-ville de Montréal. Après des années d’accalmie, le coeur de la métropole flirte à nouveau avec les nuages et le mont Royal.

Du souterrain à l’aérien

Autour du Centre Bell, le bal des grues bat son plein sur les chantiers où verra le jour en 2016 la tour des Canadiens (50 étages, 167 mètres). Quelque 552 condos perchés, tous envolés avant même que la première excavatrice ne morde le sol. À deux pas, même scénario pour L’Avenue, une flèche de verre de 175 mètres, et pour L’Icône, deux tours en zigzag où nicheront 467 condos dominant la ville.

C’est sans compter les huit autres projets de gratte-ciel de 25 à 35 étages annoncés par la Corporation Cadillac-Fairview dans le quadrilatère compris entre la gare Windsor et les abords du Centre Bell. Surenchère ?

« À l’ouest du centre-ville seulement, 2300 des 3300 unités en construction sont déjà vendues. Il reste 1000 unités disponibles qui ne seront livrées que dans quatre ans. Oui, la demande est là. Le marché du condo en hauteur était inexistant à Montréal. Depuis 2012, Montréal est considérée sur ce point comme la ville la plus prometteuse au Canada », explique Mathieu Collette, directeur des études de marché sur les condos en hauteur pour le Groupe Altus.

Pour les promoteurs, cette ruée vers le ciel est une bouffée d’air frais après des années de disette. Depuis l’érection du 1250 René-Lévesque (199 m) et du 1000 de La Gauchetière (205 m), les deux plus hauts gratte-ciel de la métropole érigés en 1992, le ciel de Montréal était resté à peu près inchangé.

« On partait de loin. On vit ce que Toronto a vécu il y a 15 ans. Ça va littéralement repeupler le centre-ville et donner une mixité intéressante. On a pour plus d’un milliard de dollars de projets sur nos tables à dessin », se réjouit Olivier Legault, associé principal de Béïque, Legault, Thuot architectes, qui a signé les plans de L’Icône, du Roccabella, deux tours de 40 étages qui pousseront sur René-Lévesque.

Après avoir vendu l’image du « Montréal souterrain », la métropole table sur le Montréal aérien. Mais ses vues et percées spectaculaires sur le fleuve et le mont Royal se marchandent à fort prix. Dans les projets haut de gamme, les étages supérieurs se vendent entre 600 $ et 1000 $ le pied carré. Appartements de luxe, penthouses de 3000 pieds avec toits-terrasses dotés de spas dominant la ville, se vendent 4, 5, 6 millions de dollars, sans compter les frais de condos, de 300 $ à plus de 2000 $ par mois. Une place au zénith coûte bonbon.

La course vers le 7e ciel

Pourquoi cet engouement ? En plus des changements apportés en 2012 aux hauteurs permises dans certaines zones du centre-ville, la flambée des valeurs immobilières, même en banlieue, a retardé le projet de jeunes couples qui rêvaient de grandes maisons. Cette même hausse a augmenté l’actif des baby-boomers, capables d’allonger de rondelettes sommes pour migrer vers la ville et vivre entre ciel et terre. Un contexte idéal pour propulser la construction de coûteuses tours, financées grâce à cette nouvelle clientèle de niche.

« Beaucoup de couples se retrouvent avec des maisons vides qui valent de 500 000 à 600 000 $. Ils reviennent en ville pour vivre dans des appartements plus petits, dotés de vues imprenables », soutient l’analyste Mathieu Collette.

La crise financière de 2008 a aussi poussé plusieurs investisseurs, comme Daniel Houle, à placer leur argent dans l’immobilier. L’homme d’affaires a acquis deux appartements au 27e étage de L’Altitude, un pour ses enfants, l’autre offert en location au prix fort. « Au coeur de n’importe quel centre-ville, les prix ne baissent pas. En matière d’investissement, on ne peut pas perdre. En attendant, mes enfants, qui sont à l’université, en profitent », dit-il.

Le jour de notre visite, un haut cadre d’une compagnie pharmaceutique, déménagé à Montréal, venait visiter un condo de 3000 pieds carrés loué 7500 $ par mois. Certains projets sont devenus le quartier général de fortunés étudiants étrangers de McGill. Environ 40 % des acheteurs de L’Altitude sont des investisseurs d’ici et d’ailleurs, qui louent leur refuge en plein ciel de 5000 $ à 15 000 $ par mois.

L’architecte Olivier Legault impute aussi cet élan aux nouveaux modes de vie embrassés par tout un pan de la population. En 1960, 90 000 personnes vivaient seules dans la métropole ; aujourd’hui, c’est 900 000 personnes, dit-il. De plus en plus de gens font le choix de vivre seuls, « dans des lieux plus petits ». Le taux de divorce élevé viendrait aussi gonfler les rangs de ces acheteurs solitaires.

« La densification des villes touche toutes les métropoles du monde. Et, contrairement à leurs parents, 70 % des jeunes de la génération Y disent vouloir vivre en milieu urbain », ajoute Olivier Legault.

Vie d’hôtel en altitude

Ironiquement, la congestion et l’enfer annoncés par les projets de réfection de l’échangeur Turcot et du pont Champlain, qu’on croyait fatals pour Montréal, doperaient cette ruée de jeunes professionnels et de retraités, qui souhaitent nicher le plus près possible du centre-ville et de ses attraits. Louis Bourassa en est l’exemple vivant. « Je suis à 10 minutes de marche du Musée des beaux-arts, du Vieux-Montréal ou de la place des Festivals. Comme amateur d’art et de spectacles, je suis servi ! », dit-il.

Plus que la hauteur et un pied-à-terre au centre-ville, c’est le faste de la vie d’hôtel à l’année que s’offrent les acheteurs de ces logis, aux espaces privés de plus en plus petits (jusqu’à 500 ou 600 pieds carrés pour une chambre), mais aux aires communes luxuriantes. Piscine à l’eau salée, sauna, gym, cinéma maison, salle de yoga et même salle de golf virtuel appâtent métrosexuels et power couples en quête d’une vie calquée sur celle des New-Yorkais.

« Ce sont surtout mes enfants qui profitent de ces petits plus. Moi, j’ai surtout redécouvert le calme, la sérénité. En plein centre-ville, je ne suis jamais aussi serein que lorsque je m’assois sur mon lit et que je laisse les lumières de la ville envahir les murs de la pièce. C’est un privilège. »

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