«Le Liban apparaît aux réfugiés comme une terre d’espoir »

Émilie Corriveau Collaboration spéciale
À Beyrouth, des réfugiées syriennes préparent un repas dans un centre d’aide de Caritas Liban.
Photo: Agence France-Presse (photo) Joseph Eid À Beyrouth, des réfugiées syriennes préparent un repas dans un centre d’aide de Caritas Liban.

Ce texte fait partie du cahier spécial Religion

Depuis 2011, une guerre civile sanglante oppose le régime de Bachar al-Assad aux rebelles en Syrie. Accueillant la majorité des réfugiés de ce pays voisin, le Liban se trouve aujourd’hui plongé dans une situation précaire. Président de Caritas Liban, un organisme catholique ayant pour mission de servir les pauvres et de promouvoir la charité et la justice, le père Paul Karam sonne l’alarme.

Il y a quelques jours, l’Organisation des Nations unies (ONU) annonçait que les réfugiés syriens venus trouver l’asile au Liban avaient franchi le cap du million. Pour un pays aussi petit que le Liban, ce dernier tenant sur un territoire de 10 452 kilomètres carrés et comptant une population d’à peine plus de 4 131 000 habitants, il s’agit là de beaucoup de bouches à nourrir et de gens à soigner.

 

« Il ne faut pas oublier que Liban accueille déjà sur son territoire 500 000 Palestiniens dans des camps. Les Syriens, eux, ne vivent pas dans des camps. Leur arrivée en masse a des conséquences graves au plan de la démographie. Ça représente près du tiers de notre population », s’inquiète le père Karam.

 

Parmi les conséquences les plus notoires figure le débalancement de l’équilibre existant entre les 18 confessions religieuses de la population libanaise. Il est difficile d’établir avec précision la répartition des religions sur le territoire libanais vu l’absence de recensement depuis 1932, mais on estime que jusqu’à ce que le Liban accueille les réfugiés syriens, les musulmans formaient environ 54 % de la population, les chrétiens, 40,5 %, et les Druzes, 5,6 %. Le pays comptait également plusieurs minorités de juifs, d’hindous et de bouddhistes qui représentaient moins de 0,1 % de la population.

 

« La majorité des réfugiés syriens sont des musulmans sunnites, note le père Karam. Ça change donc tout l’équilibre entre les chrétiens et les musulmans, et ça risque de créer une importante crise au plan national ! »

 

Dans le même esprit, le président de Caritas Liban relève que le taux de natalité élevé chez les réfugiés syriens a de quoi inquiéter les autorités libanaises. « Actuellement, sur dix nouveau-nés, six sont Syriens. Les enfants syriens qui naissent en territoire libanais ne peuvent ni être enregistrés au Liban, car la loi ne le permet pas, ni en Syrie, car les parents craignent d’y retourner. On se retrouve donc avec des milliers de sans-papiers. C’est extrêmement problématique ! »

 

De l’eldorado au ghetto

 

Une question se pose : pourquoi les migrants choisissent-ils en masse le Liban plutôt que l’Irak, la Turquie ou encore la Jordanie ? « Parce que le Liban apparaît aux réfugiés comme une terre d’espoir », indique le père Karam. Le Liban étant entouré d’États soit dictatoriaux, soit théocratiques, il est le seul pays de la région à jouir d’un régime démocratique par consensus (une république parlementaire) et à profiter d’un climat très agréable dû à sa géographie. Conséquemment, il incarne pour plusieurs l’eldorado moyen-oriental.

 

Mais comme le note le père Karam, depuis le début de cette crise, le Liban n’a plus grand-chose d’une oasis. L’afflux massif de personnes dans le besoin représente pour ce pays d’accueil des coûts importants ainsi qu’une pression majeure sur ses ressources. En 2013 seulement, d’après la Banque mondiale, la crise syrienne a coûté plus de 2,5 milliards de dollars au Liban.

 

Par conséquent, les conditions de vie ne sont plus ce qu’elles étaient sur le territoire libanais. Au plan sanitaire et alimentaire, la situation ne cesse de se dégrader et les organisations comme Caritas sont extrêmement sollicitées.

 

« Depuis le début de cette guerre, Caritas Liban a donné une assistance alimentaire à plus de 30 000 familles, précise son président. On a également permis à plus de 17 000 Syriens de bénéficier d’une assistance médicale, ce qui équivaut à plus de 55 350 actes médicaux. On peut difficilement faire plus, on est débordés ! »

 

Sur le plan de l’éducation, l’école libanaise ne parvient pas non plus à répondre aux besoins des réfugiés, dont la moitié sont des enfants en âge scolaire. « Le système scolaire syrien est très différent du système libanais. Il faut calculer environ quatre ans de différence en termes de scolarité pour des enfants du même âge, car le programme syrien est entièrement dispensé en arabe et celui du Liban l’est à la fois en français, en anglais et en arabe. Les jeunes Syriens ne peuvent même pas aller à l’école, car ils ne sont pas capables de suivre ! »

 

Quant à ce qui a trait à la sécurité, les conditions se dégradent également. D’après les observations du père Karam, la criminalité est en hausse. Selon des données qui lui ont été transmises, la quantité d’actes de délinquance serait grandissante et 80 % d’entre eux seraient commis par des réfugiés syriens.

 

Hostilité

 

Chez la population libanaise, la situation se traduit par un sentiment d’injustice et d’hostilité grandissant, ce qui préoccupe l’homme de foi. « Le Liban a été occupé par la Syrie pendant environ 28 ans, et par Israël pendant près de 24 ans. La crise syrienne, avec tous les effets qu’elle a au Liban, a pour effet de raviver une blessure du passé. Du côté de l’Église, nous défendons toujours le message d’accueil. Nous croyons qu’il faut accueillir l’autre même s’il est différent de nous. Mais les Libanais seront près de 200 000 à basculer dans la pauvreté cette année à cause de cette crise. Ils ont tellement mal qu’il devient de plus en plus difficile de calmer le sentiment de haine envers les réfugiés. »

 

Désespéré, le père Karam exhorte la communauté internationale d’assumer ses responsabilités : « Ce n’est pas une question d’argent ou de vivres. C’est une question de paix. Il faut trouver une solution à ce conflit politique et arrêter cette guerre. Il y a des territoires beaucoup plus grands que le Liban dans le monde où on pourrait installer ces réfugiés de façon sécuritaire. La communauté internationale doit arrêter de fermer les yeux et venir en aide à ces gens. »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

À voir en vidéo