Un pape bouleverse son Église

Benoit Rose Collaboration spéciale
Un pape près du peuple, d’une simplicité désarmante.
Photo: Agence France-Presse (photo) Filippo Monteforte Un pape près du peuple, d’une simplicité désarmante.

Ce texte fait partie du cahier spécial Religion

Depuis un an, on s’étonne de son style dépouillé d’inspiration franciscaine et de son approche accueillante. Pasteur argentin de culture jésuite, le pape François donne décidément un nouveau ton à sa fonction, et par le fait même, à l’institution qu’il représente. Selon certains observateurs, cette posture d’humilité ouvre bel et bien la marche pour des réformes structurelles concrètes visant à transformer une Église catholique jugée très monarchique.

Avant d’être nommé pape à Rome, le cardinal argentin Jorge Mario Bergoglio menait déjà sa vie dans la plus grande sobriété, à Buenos Aires. « Il ne vivait pas dans le palais épiscopal, mais dans un petit trois et demie, raconte Marie-Andrée Roy, professeure au Département de sciences des religions de l’UQAM. Et il avait créé un choc culturel en refusant la limousine qui lui était attribuée, préférant emprunter les transports en commun. » Le mode de vie dépouillé qui fait aujourd’hui sa réputation depuis le Vatican ne date donc pas d’hier.

 

À Rome, le nouveau pape a choisi de s’installer dans la modeste résidence Sainte-Marthe plutôt que dans les appartements de ses prédécesseurs. Accessible, il donne quotidiennement des messes à des employés du Vatican et se rend parfois, la nuit tombée, à la rencontre d’itinérants de la périphérie. Les photographies parlent, comme celle où on le voit siégeant en simples soutane blanche et souliers noirs sur un trône de saint Pierre allégé, laissant de côté les éléments ostentatoires rouge et or du décorum mondain que Benoît XVI arborait, tel un monarque orné des symboles de son prestige.

 

En refusant le piédestal, ce « pape du peuple » prêche avec force par l’exemple. « L’homme séparé, l’homme des hauteurs, ce n’est pas lui, affirme Mme Roy. Il est présent. C’est un homme de rigueur et de simplicité qui, par sa manière d’être, impose un nouveau style », notamment à son entourage, subtilement invité à suivre sa manière de vivre. « Il exerce sa responsabilité à partir d’une culture qui n’est pas la culture strictement romaine et vaticane. Ça bouleverse beaucoup de choses. » François a été formé en Amérique latine et en Allemagne, et non à Rome.

 

Du sens à la pluralité

 

Jean-Claude Ravet, rédacteur en chef à la revue Relations — publiée par le Centre justice et foi, un centre d’analyse sociale progressiste fondé et soutenu par les Jésuites du Québec —, est très impressionné par ce que François ouvre comme fenêtres. « Il y a clairement une réforme structurelle qui est appliquée, pas simplement cosmétique. C’est le premier pape qui parle de réformes. […] Il va plus loin, il parle de conversion des structures, et conversion même de la papauté. Alors là, on est dans le remue-ménage ! »

 

La simplicité évangélique qu’il met de l’avant, lui qui se présente humblement comme « évêque de Rome » et qui admet ne pas avoir la vérité sur tout, doit s’incarner aussi dans les structures d’une Église appelée à rompre avec son centralisme. Selon M. Ravet, de l’aveu même du nouveau pape, ce dernier « doit laisser aux Églises locales le soin de discerner ce qui correspond à leur incarnation de l’Évangile », dans un esprit de collégialité. « C’est la reprise sérieuse de Vatican II », où étaient avancées les idées de collégialité, de décléricalisation et d’une place prépondérante pour les laïcs au sein de l’Église, ce qui pourrait éventuellement ouvrir plus grande la porte aux femmes. Par sa démarche, François semble vouloir redonner du sens à la pluralité des voix et des expériences au sein de l’institution.

 

Il invite ainsi les Églises locales à s’affirmer, ce qui est une petite révolution à assumer partout dans le monde catholique, croit M. Ravet. « C’est le rôle des laïcs, des théologiens et des Églises locaux de prendre la parole. […] On est habitué à se tourner vers Rome, mais il faudrait exiger que les évêques parlent et sortent de leur frilosité. On est dans une Église, précisément au Québec, frileuse de ce point de vue. On les a sermonnés pour qu’ils soient bien dociles, et on élit en fonction de cette docilité administrative et doctrinaire. »

 

Evangelii Gaudium

 

Les questions de doctrine ne sont pas la tasse de thé de François, explique M. Ravet. Ce qui n’est pas nécessairement une déception, dans la perspective où voilà un pasteur qui veut sortir l’Église de son moralisme venu d’en haut pour revenir à l’essentiel, soit la joie de l’Évangile. « Il dit qu’il faut entrer dans le monde, et porter cette bonne nouvelle du partage, de la justice et d’une attention aux plus petits qui est propre à l’Amérique latine, où il y a une longue culture de solidarité et une Église proche de la réalité des petites gens. »

 

Bien qu’on ne puisse pas le considérer comme un marxiste, de dire Marie-Andrée Roy, François provient d’une région du monde teintée par de fortes inégalités socioéconomiques et par la théologie de la libération. Pour lui, les personnes démunies sont « au coeur de la vie », et il démontre qu’il prend très au sérieux la doctrine sociale de l’Église. Dans son texte Evangelii Gaudium, il livre une solide critique d’un système économique qui engendre la disparité sociale. Avec l’importance démographique des Latino-Américains dans la famille catholique, cette parole prend toute son importance.

 

Homme d’action, François a aussi entamé une réforme de la curie romaine. Mais alors que Benoît XVI était issu de cette « machine » administrative, le nouveau pape provient de l’extérieur et veut introduire une nouvelle dynamique. Il s’est donné le C8, souligne Mme Roy, un groupe de huit cardinaux provenant majoritairement de l’extérieur de l’Europe pour le conseiller en la matière. « Ce qui est intéressant c’est que tous, avant, d’une manière ou d’une autre, ont pris position en faveur des pauvres dans une perspective de justice sociale. »

 

Il est question de permettre l’accès à la communion aux mariés divorcés, et ainsi de mieux accueillir les différentes personnes dans leur cheminement de vie. Mais il y a aussi cette volonté déjà en marche d’assainir les finances du Vatican, entaché par des histoires de corruption et de blanchiment d’argent. Des laïcs de par le monde sont intégrés à la démarche. « Il faut quelqu’un d’extrêmement fort pour imposer ça à Rome, de croire Mme Roy. Et il peut faire ça, parce qu’il ne doit rien à qui que ce soit. »

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