Les mal-logés du Nunavik

68 % des Inuits du Nunavik habitent dans des logements surpeuplés.
Photo: Caroline Montpetit Le Devoir 68 % des Inuits du Nunavik habitent dans des logements surpeuplés.

Au nord du nord du Québec, les Inuits du Nunavik font face à des problèmes criants de logement. Cette situation a des conséquences dramatiques sur la santé et l’éducation d’un peuple qui cherche à renouer avec ses racines

Dalasie Morgan Karpik a neuf enfants et quatre petits-enfants. Lorsqu’on lui demande combien de personnes vivent dans sa petite maison du village de Kangiqsualujjuaq (George River), le long de la baie d’Ungava, elle lève les yeux au ciel : « J’ai arrêté de compter ! » Il y a un va-et-vient continuel dans le logement de cinq chambres à coucher qu’elle occupe.

Il n’y a pas assez de place pour asseoir tout le monde autour de la table de cuisine. Il n’y a pas non plus, pour les enfants, vraiment d’endroit où faire ses devoirs.

« Dans certaines maisons, les gens alternent leur accès aux chambres à coucher, raconte Georges Berthe, de l’Office municipal d’habitation de Kativik, au sujet du surpeuplement des maisons au Nunavik. Il y a des gens qui doivent vivre la nuit pendant que d’autres vivent le jour. C’est la seule chance qu’ils ont de contrôler la télécommande de la télé ! »

Récemment, le logis du frère de Dalasie, qui est en couple et qui a deux enfants, a été rasé par les flammes. En attendant qu’il se trouve un abri temporaire, il a lui aussi emménagé chez Dalasie.

Depuis, il est parti en maison de transition à Montréal, à cause de problèmes de violence conjugale. « Avant qu’il parte, je lui ai dit que s’il voulait coucher ici, il fallait qu’il couche dans le portique ! », raconte Dalasie. Cela suppose que lorsqu’il reviendra de la maison de transition, le frère de Dalasie retournera dans la maison qu’il partageait avec sa femme et ses enfants, peu importe les problèmes qu’ils vivent. La raison est simple : il n’y a pas de maisons de disponibles au Nunavik.

De retour de prison

À Kuujjuaq, quelque 200 kilomètres au sud, Suzie Munick Cooper vit avec six autres adultes et trois bébés dans un appartement de trois chambres à coucher. Sa fille, Siquaq, vient d’avoir des jumeaux. Elle occupe une des chambres avec son mari et ses nouveau-nés. Deux autres enfants de Suzie purgent présentement une peine de prison de quelques mois à Montréal pour des offenses commises en état d’ébriété, dont la conduite d’un véhicule en état d’ivresse.

Lorsqu’ils reviendront à Kuujjuaq, ils devront de nouveau partager une maison surpeuplée avec les trois générations de leur famille, et les risques qu’ils retombent dans les mêmes problèmes d’alcool sont élevés. C’est Suzie, qui occupe un poste à l’administration régionale Kativik, qui paie le loyer de 560 $ par mois.

« Les autres aident pour la nourriture », dit-elle.

Selon les données de la société Makivik, 68 % des Inuits du Nunavik habitent dans des logements surpeuplés. Alors que Makivik réclame sans relâche du gouvernement fédéral qu’il paye pour les 900 logements qui font cruellement défaut dans la communauté, le gouvernement du Québec a imposé en 2010 des hausses de loyer annuelles de 8 % qui font mal au portefeuille des Inuits.

Épidémies de tuberculose, problèmes de santé divers, agressions sexuelles, violence conjugale, suicide, les problèmes de santé publique liés au surpeuplement des logements sont énormes. Pire, depuis quelques années, l’Office municipal d’habitation Kativik a commencé à évincer les mauvais payeurs de loyer, les forçant à errer de toit en toit à la recherche d’un abri.

Nulle part où aller

Au refuge pour femmes de Kuujjuaq, où Martha Munick accueille des femmes victimes de violence conjugale, le problème se présente de façon quotidienne. « Nous ne pouvons abriter les femmes qui viennent de Kuujjuaq que trois jours, dit-elle. Après, plusieurs femmes retournent chez elle. Même quand elles ont une ordonnance de non-contact de la cour, elles retournent chez elles. On ne peut rien faire contre cela. »

Alors que de nombreux cas de violence conjugale impliquent une ordonnance de non-contact entre les conjoints, c’est la femme, souvent avec les enfants, qui quitte le foyer temporairement puisqu’il n’y a pas de refuges pour hommes à Kuujjuaq.

« Parfois, les hommes nous appellent parce qu’eux aussi peuvent être victimes d’abus, et nous ne pouvons pas les prendre », raconte Martha Munick.

Le refuge pour femmes violentées de Kuujjuaq ne peut pas non plus abriter les sans-abri qui sont victimes de la crise du logement au Nunavik. « Mais nous, on n’envoie jamais personne au sud. J’aimerais mieux les envoyer au nord, à Salluit, ou à Inukjuak. Parce qu’à Montréal, elles vont être sans-abri. Parce qu’elles s’en vont sans avoir de plan. »

Chasser pour survivre

Chez les Inuits, il faut dire que le mode de vie communautaire fait partie de la tradition. Partout au Nunavik, le programme de soutien aux chasseurs en témoigne.

À Kangiqsualujjuaq, une petite communauté de quelque 900 habitants, les chasseurs ont rapporté cet automne 50 caribous qu’ils sont allés chasser en canot des kilomètres au nord, vers Killiniq. « On envoie des hommes à la chasse », raconte Tooma Etok, qui s’occupe de gérer le programme de soutien aux chasseurs. « Pour un lagopède, on leur donne quatre dollars. […] Pour un caribou, dépendant de l’endroit où ils l’auront chassé, on donne de 200 à 300 $ ».

« Nous donnons 20 % de toute la viande ou du poisson récolté à chaque famille de la communauté. Après, nous gardons un pourcentage pour les événements spéciaux ou certains échanges de services, par exemple pour les femmes qui ont donné des cours de couture cette année. Puis, nous gardons le reste pour le festin de Noël et le festin du jour de l’An », raconte-t-il.

Pourtant, depuis plusieurs années, le caribou se fait plus rare. « Autrefois, il y avait tellement de caribous, que quand ils passaient à Kangiqsualujjuaq, la montagne de l’autre côté de la baie semblait bouger. On pouvait en chasser dans les rues du village. Maintenant, il faut aller plus loin pour chasser et il y en a moins. »

« Si je ne chassais pas, je serais morte aujourd’hui », dit Dalasie Morgan Karpik. Reste que pour chasser, il faut de l’équipement, un bon ski-doo, un bon sac de couchage ou un bon bateau, ce que seulement une fraction de la population peut s’offrir.

Lorsqu’on lui demande ce qu’il fera s’il n’y a plus de caribous, Tooma Etok répond qu’avec le salaire que lui verse la municipalité, il peut s’acheter du poulet au magasin.

Mais le taux de chômage est extrêmement élevé au Nunavik, et les prix des produits vendus au magasin sont exorbitants.

À Kuujjuaq, un deux litres de lait vaut plus de 6 $, le double du prix payé pour la même chose à Montréal. Un melon coûte 7 $ et un avocat, 5 $. Si certains produits sont subventionnés en vertu du programme Nutrition Nord Canada, d’autres ne le sont pas.

« Certains produits sont 10 % plus chers que dans le Sud, d’autres sont 300 % plus chers, mais tout est plus cher », dit Watson Fournier, de l’Office municipal d’habitation Kativik. Certaines familles doivent désormais choisir entre payer leur loyer et trouver quelque chose à manger.




Ce reportage a été rendu possible grâce au soutien de la société Makivik.

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