De la concertation locale à la mondialisation

Bernard Pecqueur Collaboration spéciale
Les produits d’AOC peuvent proposer une production alternative basée sur la qualité.
Photo: Mychele Daniau Les produits d’AOC peuvent proposer une production alternative basée sur la qualité.

Ce texte fait partie du cahier spécial Innovation sociale

Depuis les années 1970, nous vivons un phénomène de mondialisation renforcé. Cela s’exprime à travers l’intensification des échanges de différents types: informations, capitaux, biens et services, mais aussi par le déplacement de personnes. Cependant, la recherche en sciences sociales, notamment en Italie avec les districts industriels, a découvert que les relations de proximité entre les acteurs locaux peuvent jouer un rôle déterminant dans la compétitivité des activités économiques.

Une densité de relation entre les acteurs locaux (entreprises, municipalités, universités, centres de recherche, syndicats) peut jouer un rôle déterminant dans la compétitivité de certaines activités industrielles et de services. Les districts industriels italiens semblent avoir leur équivalent dans le Bade-Wurtemberg tout comme dans certaines préfectures japonaises ou encore dans la Silicon Valley ou, plus récemment, dans les « pôles de compétitivité » français. L’acteur local citoyen est aussi présent avec des initiatives observées notamment par les chercheurs québécois tant dans les villes qu’en milieu rural atour de l’innovation sociale, où des citoyens ou des usagers (voir les Living Labs) se regroupent pour trouver des solutions aux problèmes économiques formulés comme partagés.

 

Les territoires comme construction sociale éphémère et partielle viennent se superposer aux territoires définis par les États. Les habitants regroupés autour d’un sentiment commun d’appartenance peuvent ainsi retrouver des marges de maîtrise sur leur propre destin économique.

 

L’exemple qui vient d’ailleurs à l’esprit est celui des labels sur les produits agroalimentaires, à travers les zones d’AOC (appellation d’origine contrôlée), assez fortement développées en Europe et en émergence au Québec. Celles-ci labellisent un produit sur la base de la qualité de sa fabrication et aussi de son origine géographique. Cette pratique répond à la volonté du consommateur de personnaliser sa consommation. Elle profite sans doute du besoin de traçabilité issu des crises alimentaires récentes, mais surtout, elle permet, notamment dans les régions agricoles où les rendements dans l’agriculture productiviste sont trop faibles pour tenir la concurrence, de proposer une production alternative basée sur la qualité et donc sur une valorisation par des prix élevés. L’AOC peut alors être au centre d’une offre diversifiée de biens et de services à la base d’un développement de tout le territoire. D’une manière générale, on assiste à une multiplication des stratégies de développement territorial fondées sur des produits spécifiques, ce qui, combiné au patrimoine et à la culture propre à chaque territoire, peut aussi être valorisé par le tourisme.

 

Défi économique et politique

 

Ainsi, dans cette période de mutation rapide dans laquelle les régulations économiques héritées de l’économie industrielle sont remises en question, il existe de nouvelles modalités de création de ressources en lien avec des stratégies locales d’acteurs. Aujourd’hui, les perspectives de création de richesses tiennent aux capacités de groupes à s’organiser et à élaborer des processus originaux d’émergence des ressources. La mondialisation, qui consiste essentiellement en l’interconnexion des marchés et qui crée des liens de cause à effet de plus en plus denses entre les acteurs économiques, produit en même temps des dynamiques et des procédures singulières de création de ressources.

 

Bien sûr, cela donne de nouvelles possibilités pour les collectivités locales, lesquelles peuvent élaborer des actions publiques renouvelées autour de la dynamisation des initiatives d’acteurs et de l’amélioration de la performance des territoires, ce qui se traduit par l’amélioration aussi bien du vivre que de la performance des entreprises qui s’y rattachent. Cependant, ces possibilités ne peuvent constituer un modèle crédible d’adaptation de nos sociétés au monde global qu’à certaines conditions.

 

En premier lieu, rappelons que le développement local des territoires ne vise pas le repli sur soi, mais une adaptation à la mondialisation. Il ne s’agit pas d’autarcie, mais de rééquilibrer les productions de proximité avec celles qu’il faut importer. En second lieu, la démocratie élective doit trouver un nouveau dialogue avec la démocratie directe et les citoyens. Enfin, il faut qu’existent des lieux et des temps pour la révélation et l’élaboration collective des ressources propres à chaque territoire afin que chaque habitant puisse se reconnecter au monde qui l’entoure et se réapproprier une part de son destin.

Bernard Pecqueur est professeur à l’Institut de géographie alpine de l’Université de Grenoble-Alpes.

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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