Une crise utile?

Ce texte fait partie du cahier spécial Innovation sociale
Crise financière, crise des institutions, crise des grands récits, désaffection politique, croissance des inégalités, perte de sens, autant de phénomènes qui se conjuguent pour créer un climat délétère que plusieurs associent à une perte de repères et au désenchantement, mais qui est aussi à la base d’une période de transition, de renouvellement, marquée par des dynamiques d’innovation et de transformation.
Les dérèglements présents, loin de pousser la collectivité vers l’apathie, génèrent chez nombre d’acteurs sociaux une volonté de transformation sociale visant à redéfinir la société sur des bases plus solidaires, plus équitables, voire plus éthiques, communautaires, écologiques et citoyennes.
Dès lors, pour les leaders de la société québécoise (et de toutes les autres), le défi consiste à rendre compte non seulement des problèmes, mais aussi des nouvelles avenues et des possibles qui surgissent et se construisent. L’innovation sociale s’inscrit précisément dans cette perspective, cherchant à la fois à appréhender la reconstruction sociale en cours à travers l’émergence d’expériences socialement innovantes, et à rendre compte de l’effet de ces expériences sur les transformations sociales qui se dessinent. En portant un regard à la fois sur les acteurs, les structures, les objets et les effets, la perspective de l’innovation sociale permet de mettre en lumière la capacité d’initiative des individus, des organisations et des collectivités quant aux défis et enjeux de notre époque.
Jalons pour un nouveau modèle
La recherche sur l’innovation sociale jette un éclairage sur les processus qui amènent à l’institutionnalisation des innovations sociales et sur les liens entre les acteurs socioéconomiques et les instances gouvernementales. Ce travail de coconstruction donne lieu à des politiques publiques qui sont davantage en syntonie avec les besoins citoyens. Mais pour être en mesure de répondre à ces besoins, la réflexion sur l’innovation sociale doit s’inscrire dans une posture épistémologique et méthodologique ainsi que dans une démarche transdisciplinaire qui savent produire des savoirs mobilisables pour l’action et qui tiennent compte des fondements normatifs et idéologiques sur lesquels l’innovation s’est construite.
Ce processus de dévoilement permet alors d’aller au-delà du discours tenu par les artisans de l’innovation et de soulever les enjeux politiques qui accompagnent l’émergence de toute innovation sociale et qui ont une influence déterminante sur sa pérennité et son potentiel de transformation sociale.
Une dialectique constante s’établit entre innovation et institution ; l’innovation sociale étant précisément une transgression des règles pouvant déboucher sur une transformation de l’ordre, voire sur la construction d’un nouvel ordre. Il s’agit alors pour l’État non seulement d’offrir le soutien nécessaire à l’innovation par l’assouplissement ou le réajustement des politiques publiques et des ressources financières et informationnelles, mais également de laisser place à l’autonomie des acteurs pour révéler leur potentiel transformateur et offrir la latitude nécessaire à la poursuite du processus d’innovation.
Car l’innovation sociale, pour qu’elle devienne porteuse de transformation sociale, doit reposer, d’une part, sur un processus collectif d’apprentissage et de création permettant une (re)prise de pouvoir sur l’existence des individus et des communautés et, d’autre part, sur une interaction entre les acteurs concernés laissant place au dialogue et au compromis afin que l’innovation puisse s’inscrire dans une dynamique de construction de liens sociaux qui favorisent les actions inspirées par la recherche du mieux-être collectif.
Nouvelles valeurs
L’innovation sociale peut ainsi devenir l’ingrédient d’une stratégie de développement alternatif porteuse de nouvelles valeurs (solidarité, équité, justice sociale). D’ailleurs, les nombreuses références à l’innovation sociale que nous observons actuellement — au point où l’innovation sociale est devenue un concept en vogue — témoignent de ce qu’elle n’est pas simplement le reflet passager d’une transition, mais qu’elle est bel et bien une caractéristique marquante d’un nouveau modèle qui promeut une culture du changement. Cette évolution pose toutefois la question de l’orientation de ce changement : pour qui ? pourquoi ? et comment ?
Ainsi, la simple multiplication des innovations sociales ne suffit pas à générer un nouveau modèle de développement, à plus forte raison si on souhaite que ce nouveau modèle soit porteur d’arrangements qui favorisent la justice sociale, la solidarité et l’équité. C’est par leur ancrage au sein d’une nouvelle façon de voir et de résoudre les problèmes que les innovations sociales façonnent de nouvelles représentations de la société qui favorisent les actions politiques nécessaires à la recherche du bien commun.
Annie Camus, Christian Jetté et Juan-Luis Klein sont membres du CRISES, le Centre de recherche sur les innovations sociales.
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