Vivre avec ses voisins

À Cohabitat, les repas sont communautaires.
Photo: Renaud Philippe - Le Devoir À Cohabitat, les repas sont communautaires.

De Québec à Montréal, des gens créent des modes d’habitation alternatifs pour contrer l’isolement de la vie en ville.

Québec — Depuis l’été dernier, une centaine de résidants de Québec partagent une grande part de leur quotidien avec leurs voisins, de la cour à la cuisine en passant par les services informels de gardiennage. Incursion dans l’univers de Cohabitat, un modèle d’habitation unique au Québec.

« Je voulais que mes enfants grandissent dans un milieu où ils connaissent leurs voisins. Où la vie, ce n’est pas juste un petit cocon familial tout le temps, résume Guillaume Pinson, résidant et porte-parole. À Cohabitat, les enfants deviennent à l’aise avec les adultes, avec les autres enfants. Pour moi, c’est important. Ils sont moins gênés, ça les rend plus curieux, ça leur ouvre l’esprit. »

Situé derrière le cégep Garneau, ce village réinventé a été conçu pour donner un maximum de place au voisinage.

Il n’y a pas de chambre d’amis ou de grande salle à manger dans la maison de Guillaume Pinson. Pour cela, il faut aller dans la maison commune, un bâtiment où on retrouve, en plus, une immense cuisine, une salle de jeux, une buanderie, un atelier, et des espaces de rangement.

Cuisine de réfectoire

C’est toutefois l’immense salle à manger qui domine l’espace. Chacun leur tour, les habitants de Cohabitat y organisent des soupers communautaires auxquels on participe par dizaines. « On passe de super belles soirées. On boit un petit coup devant le foyer. On discute de tout et de rien », raconte M. Pinson.

Près de la cuisine, des abonnés à un quotidien ont apporté leur exemplaire après l’avoir lu. Sur un grand tableau noir, des résidants offrent au rabais des légumes achetés en trop. Ceux qui le souhaitent peuvent participer au groupe d’achats collectifs et, l’été prochain, on devrait lancer un premier jardin communautaire dans la cour.

« J’apprécie le bon voisinage, dit Jean-Claude Boutin, un retraité. J’apprécie aussi l’environnement des enfants. C’est important si on veut rester jeune. » Cohabitat compte 104 résidants dont 40 jeunes. Le matin, il va reconduire à l’école un groupe de jeunes à pied. Ils appellent ça le « pédibus ».

Les échanges entre générations sont multiples ici, explique Maryse Vaillancourt. « Tantôt, il y a quelqu’un qui a envoyé un courriel pour faire garder un de ses enfants le temps d’une course. J’ai demandé à mon chum d’y aller. Le temps qu’il se rende au téléphone, il était trop tard. Il y avait un voisin qui avait appelé avant. »

Patience et longueur de temps…

Derrière ce portrait aux allures idylliques, y a-t-il des désavantages ? Mme Vaillancourt en trouve un seul : « Ç’a été long. » En effet, il aura fallu neuf ans de travail avant que le projet de Cohabitat n’aboutisse. « Dans le passé, il n’y avait aucune structure, se rappelle Guillaume Pinson, qui s’est joint au projet en 2007. Il n’y avait pas de hiérarchie, pas de technique de prise de décision. C’était le bordel. On s’engueulait sur les terrains qu’on voulait acheter. »

Une partie des membres sont alors partis. Michel Desgagnés a relancé le projet avec un terrain déjà choisi et a établi un système de prise de décision pour limiter les conflits, la « sociocratie ». Désormais, tous les gens qui décident de s’installer à Cohabitat doivent suivre une formation en sociocratie. « On procède par consentement. C’est un système qui est beaucoup utilisé dans les quartiers comme ça en Europe, précise Guillaume Pinson. Avant d’adopter une proposition, il faut que les désaccords puissent être exprimés ; ensuite, tout le monde est responsable de trouver une solution. »

À l’un des murs de la salle à manger, un bâton de parole rend hommage à Michel Desgagnés, décédé d’un cancer foudroyant juste avant l’aboutissement du projet. Jean-Claude Boutin explique que la communication est une chose sur laquelle « on travaille en permanence » à Cohabitat.

Nicole Gagnon, une résidante particulièrement dynamique, explique que ça « fonctionne très bien ». « Ça dépasse les rêves qu’on avait, dit-elle. Mais oui, il faut aimer le monde. […] Si tu veux rester chez toi et [ne] rien partager, t’es pas bien à Cohabitat. »

Aujourd’hui à la retraite, cette ancienne éducatrice a créé un service d’aide aux devoirs pour les enfants. Elle dit que Cohabitat a été un « beau tremplin » lorsqu’elle a entamé sa retraite il y a un an. « Ça m’a permis de rester engagée socialement. »

Mais Nicole Gagnon et les autres n’ont rien inventé. Créée au Danemark dans les années 1960, la formule de « Cohousing » s’est développée tranquillement aux États-Unis et dans l’ouest du Canada. Au Nevada, la firme d’architectes McCamant Durrett se spécialise dans ce genre de construction depuis le milieu des années 1980. Et à Calgary, le premier projet, « Prairie Sky Cohousing », vient de fêter ses 10 ans.

Mais au Québec, Cohabitat est le premier projet du genre à faire son apparition.

À Québec, la Ville vient de comprendre à quel point c’était une réussite. Il y a quelques semaines, le maire, ses conseillers et des fonctionnaires sont venus visiter les lieux à l’occasion d’une remise de prix. Guillaume Pinson espère qu’ils sont aussi repartis avec des idées. « On voulait leur montrer qu’il y a d’autres modèles de développement dans la ville, explique-t-il. Ils disent qu’ils veulent voir des familles en ville, que c’est une priorité. Bien ça, c’en est une, solution. »

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