Une relâche à la piscine à Kigali

Les élèves de 4e et 5e secondaire de l’école Charles-Lemoyne, sur la Rive-Sud de Montréal, avaient très hâte de partir, malgré l’inquiétude des parents. La vie au pays des milles collines n’est pas de tout repos, mais l’expérience culturelle sera enrichissante.
Photo: - Le Devoir Les élèves de 4e et 5e secondaire de l’école Charles-Lemoyne, sur la Rive-Sud de Montréal, avaient très hâte de partir, malgré l’inquiétude des parents. La vie au pays des milles collines n’est pas de tout repos, mais l’expérience culturelle sera enrichissante.

Il y a bientôt vingt ans, 800 000 Rwandais étaient sur le point d’être éliminés dans un bain de sang que l’histoire retient au chapitre des génocides. Tournant le dos à la légèreté des sorties en ski et des jeux vidéo de la semaine de relâche, une quarantaine de jeunes Québécois ont décidé de braver les fantômes du passé pour visiter le pays aux mille collines. Tujyane*!

Les élèves de 4e et 5e secondaire du collège Charles-Lemoyne, sur la Rive-Sud de Montréal, étaient aussi excités qu’à la veille d’une tempête de neige le vendredi soir de février où Le Devoir les a rencontrés, vingt jours avant leur départ. La tête remplie des dizaines de recommandations sur les habitudes de vie au Rwanda, certains en redemandaient. « J’espère qu’on va avoir un choc là-bas ! J’espère que je ne me sentirai pas à l’aise, que je vais apprendre des choses ! », confiait Natacha Meyer.

 

Luce Viens n’en souhaite pas moins. La conseillère en voyage, qui a eu littéralement un coup de foudre pour le pays en 2011, désire que d’autres écoles emboîtent le pas à Charles-Lemoyne. « L’Afrique noire fait très peur aux parents. Nous avons approché une vingtaine d’écoles pour le voyage au Rwanda, mais les parents finissent toujours par refuser. Ils sont craintifs quand ils entendent le mot “ génocide  », car pour certains, le drame est encore récent.

 

Sur le site du ministère des Affaires étrangères du Canada, un avertissement persiste contre les attaques à la grenade perpétrées dans les marchés rwandais. Certains parents d’élèves s’en inquiètent et posent des questions durant la soirée organisée pour eux avant le départ, à laquelle Le Devoir a assisté. Pour les organisateurs, la situation au Rwanda est plutôt stable. « Ma fille devait aller à Boston durant le marathon, les gens vont aussi au Mexique, qui est assez dangereux […] et en 1995, il y avait une vague d’attentats en France et je ne me suis jamais empêchée d’y aller », rassure Luce Viens. « Il y a des zones frontière plus à risque où vos enfants n’iront pas », insiste Marc-André Beauchesne, jeune professeur au collège qui a séjourné souvent en Afrique centrale.

 

Les élèves n’ont cure de ces inquiétudes de grands. Leurs plus grosses peurs concernent la nourriture, la chaleur, l’effort physique et… le « sevrage » d’Internet. Quelques-uns sont particulièrement sensibles aux événements qui seront commémorés tout juste après leur départ. La douce Laurence Berl nous récite pratiquement par coeur la quatrième de couverture du livre de Roméo Dallaire, J’ai serré la main du diable : la faillite de l’humanité au Rwanda (2003, Libre Expression). Du haut de sa 5e secondaire, elle sait que la guerre civile a fait environ 3 millions de blessés et de réfugiés…

 

« C’est sûr qu’on va sentir ça là-bas, mais moi, j’ai pas l’intention d’en parler aux gens, sauf si eux nous en parlent », souligne Jennifer Pierre. « Oui, il faut être ouvert à écouter, mais surtout pas être curieux ! », nous dit au téléphone Mélanie Vachon, professeure au Département de psychologie à l’UQAM. Celle qui a côtoyé des veuves rwandaises ayant survécu au génocide croit que l’important pour les élèves, c’est d’être sensibilisés. D’ailleurs, les monuments commémoratifs « ne nous ménagent pas » au Rwanda, selon elle. La visite du Mémorial du génocide à Kigali risque de ne pas les laisser de marbre.

 

Après la capitale d’un million d’habitants, les deux groupes se rendront dans le village de Kayonza. C’est là où se trouve l’école professionnelle fondée par la Québécoise Hélène Cyr. Les élèves vont aider à construire un terrain de volley-ball et un mur de l’école primaire.

 

L’environnement à coeur

 

Isabel Gagnon, technicienne en loisirs au collège qui les accompagne durant les 16 jours du voyage, leur souligne : « Vous allez vous rendre compte que vous êtes extrêmement chanceux dans la vie. Chanceux de rencontrer des gens qui vont vous en apprendre sur la résilience, le respect, notamment dans le fait de saluer comme on vient de le voir, et aussi sur le plan environnemental. »

 

Depuis environ six ans, le Rwanda a mis en place certaines solutions radicales : les sacs de plastique sont définitivement bannis du territoire et sont confisqués à l’aéroport. Le trafic de ces sacs est d’ailleurs passible de prison !

 

Luce Viens et les autres accompagnateurs insistent sur le fait que c’est un voyage « sans trace ». Pas question de faire mauvaise impression vu qu’il s’agit de la première école québécoise à y séjourner. Rien qu’à voir les yeux des élèves quand on leur dit qu’il leur sera impossible de jeter de la nourriture ou encore de faire leurs besoins sans les enterrer dans les parcs nationaux, on comprend que le choc risque d’être grand. Ils se regardent, ébaubis, quand on leur précise d’amener pour ce faire une petite pelle à jardiner.

 

L’objectif reste quand même de cultiver un sentiment de proximité avec les communautés. Des médiateurs culturels seront là durant tout le périple pour bien faire comprendre certaines réalités qui ne se traduisent pas du kinyarwanda au français. « Une des choses qui frappent le plus au Rwanda, c’est le désir de réhabilitation, nous dit Mme Vachon. L’idée de pardon est vraiment mise de l’avant. »

 

La jeune Ariette G. Laplante a bien compris cette idée, quand on aborde avec elle les deux groupes au coeur de la tragédie de 1994: « Aujourd’hui, c’est pas des Tutsis ou des Hutus, ils sont juste Rwandais. »

 

Mis en garde à maintes reprises sur la gestion du temps à l’africaine, des élèves tentent de bluffer leurs accompagnateurs. Le temps compte ou pas ? Il filera probablement trop rapidement pour les jeunes. Mais « vingt ans pour quelqu’un qui a vécu ce drame, ça ne dit absolument rien, parce qu’à chaque jour qui passe, tu es toujours en train de vivre de la peine », disait la semaine dernière Chantal Mugdhogora, une parmi les 75 survivants invités à une cérémonie au Musée canadien de la guerre rapportée par Radio-Canada.

 

Prendre le temps d’apprendre à vivre, certains parents l’envient beaucoup à leurs enfants. Louis, le papa de Xavier, aurait « tout donné pour faire ce voyage-là à son âge ! » Les parents des jumelles Meyer, qui ont déjà vécu en Afrique, auraient aimé être avec leurs filles pour leur faire connaître le « bon temps qu’ils ont vécu là-bas ». Pour les parents de Laurence, « l’ambiance était déjà différente à la maison, c’est pas un voyage comme les autres qu’ils vont faire, on a déjà hâte qu’elle revienne pour nous en parler ».

 

*« Partons ensemble », en kinyarwanda

À voir en vidéo