Ville intelligente, citadin stupide?

Tout comme pour le téléphone, la question va finir par se poser : une ville dite intelligente risque-t-elle, à l’usage, de conduire ses habitants sur le chemin de la stupidité ? « Cela va dépendre de l’intelligence que l’on va mettre dedans », répond avec philosophie Stéphane Roche, professeur de géomatique et penseur de cette modernité urbaine.
Le portrait de cette ville fantasmée par le présent n’est pas très clair. Mais il est aussi soutenu actuellement par des politiciens en mal de solutions simples à des problèmes complexes, certes, mais également par de grands joueurs du monde de l’informatique, comme les Google, Cisco, IBM, Dell et d’autres dont les intentions commerciales derrière l’avènement des villes connectées pourraient, croient plusieurs aujourd’hui, ne pas toujours être profitables aux citadins dont on cherche pourtant à améliorer le cadre de vie.
La crainte coule de source dans un présent marqué par des révélations en rafales sur l’espionnage sournois des citoyens par les gouvernements et par les nouveaux potentiels de contrôle social induit par la numérisation des rapports humains. C’est que pour prévoir le déplacement des citadins, pour anticiper leurs besoins, pour gérer l’efficacité, la ville intelligente va devoir enregistrer chaque pas, chaque déplacement et, qui plus est, enregistrer et conserver ces informations sur des serveurs, sans doute privés, avec à la clef, des questions importantes sur le respect de la vie privée, mais également sur la propriété des données produites. « La confiance dans les gens qui gouvernent va être cruciale », résume Marie-Andrée Doran, spécialiste des villes intelligentes à l’Université Laval. « Une ville intelligente va devoir servir le citoyen, pas l’inverse. »
La prémisse est inspirante, tout en lustrant le mythe avec une bonne dose d’humanisme. Elle « replace le citoyen au coeur du débat » sur cette révolution urbaine, se réjouit le géomaticien Stéphane Roche, de l’Université Laval, tout en évoquant le besoin pour ce citoyen d’être « actif », « informé » et « engagé » dans pareille structure. « Depuis toujours, les organisations humaines, publiques ou privées, utilisent les innovations pour affirmer leur pouvoir, dit-il. Dans la ville intelligente, cette logique va encore être là et du coup, sa passivité, le citoyen pourrait la payer cher. » Après tout, la donnée numérique étant binaire, l’utopie qu’elle construit ne peut qu’être accompagnée de son contraire : une dystopie dans laquelle la ville intelligente pourrait aussi tomber.