29 ans d’isolement en prison

Robert Hillary King a passé 29 ans de sa vie dans une cellule de deux mètres sur trois, où il était enfermé 23 heures sur 24, à la prison d’Angola, en Louisiane.
Trois fois par semaine, si le temps était clément, il pouvait sortir dans une enceinte grillagée de 1,80 m sur 4,50 m.
« Le pire, c’est d’être seul. De s’ennuyer de sa famille. De ne pas voir le ciel. De ne pas voir la lune. Je n’ai pas vu une étoile durant toutes ces années. Quand on vit cette expérience, on réalise que les petites choses de la vie qu’on tient pour acquises deviennent un luxe », dit cet ancien militant des Black Panthers, qui vit aujourd’hui à Austin, au Texas. Accusé du meurtre d’un codétenu pour lequel il a toujours clamé son innocence.
Robert Hillary King a finalement été libéré en 2001 après qu’un juge eut conclu qu’il n’avait pas eu droit à un procès équitable.
Mais plusieurs estiment que la sévérité de sa peine était plutôt liée à son engagement dans les Black Panthers en prison, avec deux autres détenus, dont l’un, Albert Woodfox, est toujours incarcéré. On les appelle aujourd’hui les « Trois d’Angola ».
Le 21 février, à l’occasion du mois de l’histoire des Noirs, Robert Hillary King sera à Montréal pour présenter le documentaire Les temps durs, de Ron Harpelle, qui retrace son histoire. « Angola, c’est peut-être fini pour moi, mais Angola n’en a pas fini avec moi », dit King, qui a écrit son autobiographie et qui donne des conférences à travers le monde sur le sujet.
« C’est ma conscience politique qui m’a permis de rester en vie durant mon incarcération », raconte encore King.
Originaire de La Nouvelle-Orléans, Robert Hillary King a été élevé par sa grand-mère avant d’être placé dans une école de réforme. Il a d’abord purgé une première peine de prison pour vol. Mais ce sont les accusations subséquentes, de vol, puis de meurtre d’un codétenu en prison, qu’il a toujours contestées.
« Lorsqu’il est arrivé en prison, King n’était pas lettré », raconte Ron Harpelle. « Dans les années 1960, avec la guerre du Vietnam, le gouvernement américain avait fait retirer tous les livres sur le communisme […] des bibliothèques. Mais jusqu’en 1978, ils les ont envoyés en prison. Alors les détenus avaient accès à tous ces livres dans leurs cellules », raconte encore Ron Harpelle.
En prison, les membres des Black Panthers s’activaient entre autres à prévenir les sévices sexuels chez les « fresh fishes » (poissons frais), comme on appelle les jeunes détenus qui viennent d’entrer.
« Avocat de prison »
King, qui a étudié le droit en prison, a également été réprimandé parce qu’il agissait comme un « avocat de prison », et conseillait les détenus au sujet de leurs procédures judiciaires.
Pour Ron Harpelle, la vie de Robert Hillary King a tout à voir avec le racisme et la couleur de sa peau.
« J’ai été élevé dans un endroit où les Noirs ne pouvaient pas fréquenter les mêmes endroits que les Blancs », raconte King.
La prison d’Angola, en Louisiane, est pour sa part située sur une ancienne plantation où étaient employés des esclaves, relève-t-il. Elle doit d’ailleurs son nom au pays d’origine des esclaves qui y travaillaient.
Encore aujourd’hui, au moins 85 % des prisonniers qui y sont incarcérés sont des gens de couleur, dit Harpelle, qui s’est rendu à la prison pour tourner ce documentaire.
La prison compte une ferme de plus de 7000 hectares, et les prisonniers qui n’y sont pas en isolement y travaillent de longues heures chaque jour, pour de 4 à 20 ¢ de l’heure. Pour Harpelle, il s’agit d’une forme nouvelle d’esclavagisme.
Dans les années 1960, le mouvement révolutionnaire afro-américain des Black Panthers était considéré comme « la menace interne numéro un » par le gouvernement américain. Puis, le mouvement s’est effondré et, les Trois d’Angola ont longtemps été oubliés de tous en prison. Ce n’est que bien plus tard qu’un groupe de jeunes activistes a alerté Amnesty internationale de leur situation.
« Amnesty International considère qu’aucun motif pénal légitime ne justifie la reconduction systématique du maintien à l’isolement des deux hommes », écrivait l’organisme, au sujet de Herman Wallace et Albert Woodfox, après la libération de Robert Hillary King. Amnesty considère que ces conditions de détention sont contraires aux traités internationaux relatifs aux droits de la personne et demande aux autorités de la Louisiane de mettre fin à ces conditions « cruelles, inhumaines et dégradantes ». Cet automne, Herman Wallace a finalement été libéré à son tour pour des raisons médicales. Il souffrait d’un cancer du foie. Il est décédé trois jours après sa libération.
« Il a quand même pu prononcer “I am free” avant de mourir », raconte Harpelle.
Quant à Albert Woodfox, il achèvera en février sa 43e année d’isolement. Et il subit toujours des fouilles plusieurs fois par jour, « même s’il ne sort jamais », dit Harpelle.