La violence fait mal aux commerçants

Ghislain Rousseau, propriétaire de la boutique Fétiche Armada, déplore la fréquence de la violence.
Photo: - Le Devoir Ghislain Rousseau, propriétaire de la boutique Fétiche Armada, déplore la fréquence de la violence.

Quand on met la clé dans la porte le soir dans le quartier gai, le niveau de stress monte d’un cran. Plus question de laisser un employé fermer boutique seul. La situation est devenue à ce point explosive pour les commerçants que plusieurs multiplient les mesures de sécurité et changent leurs façons de faire.

 

La violence accrue qui gangrène l’atmosphère depuis plusieurs mois ne fait pas que semer l’inquiétude, elle fait planer un sombre nuage sur leurs affaires, déplorent plusieurs d’entre eux.

 

« On ne laisse plus les employés fermer seuls le magasin. On a augmenté les heures juste pour des raisons de sécurité, pour qu’ils soient toujours deux à la fermeture », soutient Luc Généreux, propriétaire du sauna Oasis, rue Sainte-Catherine.

 

Depuis les épisodes de violence, les caisses ne sont plus accessibles, les recettes jamais déposées le soir, et le personnel augmenté en soirée, même s’il n’y a pas plus de clients.


« La violence ce n’est pas nouveau, mais c’est la fréquence qui est exponentielle. Au début janvier, il y a eu quatre agressions distinctes le même week-end dans la rue Sainte-Catherine. Ça prend des proportions démesurées », s’inquiète Ghislain Rousseau, commerçant et propriétaire de la boutique Fétiche Armada, et militant connu du quartier.

 

Ce marchand, qui tient une boutique et un atelier de confection de vêtements de cuir, dénonce depuis des lustres l’inertie de l’administration municipale et de la police face à la criminalité qui monte en flèche. Lui-même agressé et menacé par de petits délinquants associés au trafic de drogue, il en a soupé de l’indifférence dont font montre les décideurs publics.

 

Depuis que des jeunes sont venus l’intimider dans sa vitrine, le propriétaire de Fétiche Armada a accru l’éclairage sur la façade et sur les côtés de sa boutique, le long de la rue Montcalm, plongée dans l’obscurité le soir.

 

Les mesures prises ces dernières années pour apaiser le quartier n’ont pas éradiqué le problème, croit-il, et l’insécurité croissante est en passe de tuer à petit feu la vie économique dans le Village. « Mettre un policier au coin de la rue, c’est mettre un plaster comme sur le bobo. Il faut s’attaquer au problème de fond qui est celui de la drogue et faire le ménage. Les revendeurs de drogue ont été éliminés du parc Lafontaine il y a deux ans. Pourquoi faudrait-il tolérer cela, ici, dans le quartier gai ? », déplore M. Rousseau.

 

Chez Scores, à deux pas de la place Émilie-Gamelin où rôde une clientèle démunie, on recrute par moments un agent de sécurité à la porte pour refouler les indésirables. Autant de signes que les problèmes persistent.


Des efforts

 

Pour Luc Généreux, la piétonnisation réussie de la rue Sainte-Catherine depuis 2005 ans avec le projet artistique Aires libres, et l’aménagement des fameuses boules roses au-dessus de la voie publique, a beaucoup aidé à augmenter l’achalandage pendant l’été et à rendre le quartier plus vivant. « Mais le reste du temps, de nombreux clients ne viennent plus dans le Village à cause de la violence. Globalement, les affaires ne vont pas très bien. À chaque cas d’agression, ça décourage les gens. Au lieu d’interdire les salons de massage, la Ville devrait peut-être s’attaquer au peep-show et aux vendeurs de drogues », dénonce ce commerçant.

 

Les populaires bars comme le Sky et l’Apollon, remplis à souhait, ont recours eux aussi à des portiers et des agents en permanence pour gérer les allées et venues lors des heures critiques de fermeture. Cela n’a pas empêché le DJ Alain Jackinsky, employé au Sky, d’être tabassé en sortant du boulot le mois dernier.

 

La Société de développement commercial (SDC) du Village, qui regroupe 300 commerçants, multiplie les actions pour animer le quartier. Elle soutient que le taux d’inoccupation des locaux commerciaux, de 22 % en 2005, a chuté à de 6 à 8 % en 2011. Mais la SDC est impuissante devant les actes de violence et la présence de petits délinquants décriés par les résidants. Les deux travailleurs de rue embauchés par la Société, qui sillonnent le quartier pour gérer les cas lourds d’itinérance, ont permis d’éviter de nombreuses interventions policières et la judiciarisation des problèmes. Mais leur présence n’a nullement refroidi les activités des revendeurs qui squattent les abords du métro, et invectivent par moments les passants.

 

Dans l’obscur parc de L’Espoir, funestement renommé « parc du Désespoir », on n’a pas encore réussi à améliorer l’éclairage réclamé à la Ville (sous l’administration Tremblay). Les lampadaires diffusent aussi une lumière glauque au métro Beaudry et Berri. « La réponse de la Ville, c’est que l’éclairage correspond aux normes minimales exigées, tonne Ghislain Rousseau. Ce qui marche à Outremont ne marche peut-être pas ici, où la criminalité est installée. Si chaque petit morceau du puzzle était amélioré, ça aiderait déjà beaucoup à régler les problèmes et à repousser les occupants non désirés. »

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