Lac-Mégantic : des citoyens prennent la parole

Plus de six mois ont passé depuis la tragédie de Lac-Mégantic. Le choc initial est peut-être passé, mais de nombreuses inquiétudes demeurent. Alors qu’une nouvelle étape dans la décontamination de la zone sinistrée s’amorce, des résidants ont décidé de se regrouper pour tenter de faire entendre leur voix. Ainsi est né le Comité citoyen de la région de Lac-Mégantic. Le Devoir a rencontré sa porte-parole, Marilaine Savard.
Difficile d’avoir l’esprit tranquille quand on demeure à Lac-Mégantic. Les activités ferroviaires ont repris, mais voilà que, vendredi dernier, L’Écho de Frontenac rapportait qu’une semaine auparavant, une locomotive de la compagnie Montreal, Maine Atlantic Railway avait déraillé en toute discrétion à Nantes. Une grue a eu tôt fait de remettre la locomotive sur les rails. Mais après le traumatisme du 6 juillet 2013 qui a embrasé le centre-ville de Lac-Mégantic et tué 47 personnes, ce genre d’incident éveille de mauvais souvenirs.
« Ça va bien. Tout est sous contrôle. » Cette phrase, Marilaine Savard l’a entendue souvent et, loin de la rassurer, elle l’incite à poser d’autres questions. Résidante de Lac-Mégantic, Mme Savard a fondé avec une vingtaine d’autres personnes de la région un comité citoyen.
Ce qui a motivé le groupe, c’est le sentiment d’être tenus dans l’ignorance sur de nombreux enjeux de santé susceptibles d’influer sur la qualité de vie et la sécurité des résidants.
L’incident survenu le 9 janvier dernier avec une locomotive n’a peut-être pas eu de conséquences tragiques, mais il laisse planer des doutes sur l’état réel des voies ferrées. « Une voie de contournement est souhaitée par la Ville et les citoyens. Va-t-on nous entendre ? », se demande Mme Savard.
D’autres dossiers préoccupent également les citoyens. Les opérations de contamination de la zone sinistrée qui entreront sous peu dans une nouvelle phase suscitent des craintes. Et si une fuite survenait dans l’unité mobile de décontamination ? Et si des émanations toxiques s’en échappaient ? se demande-t-on.
L’eau du robinet est-elle réellement sans danger ? Elle provient de puits qui n’auraient pas été contaminés, ont affirmé les autorités, mais, jusqu’à la semaine dernière, il fallait aux citoyens se contenter de vagues explications. « L’eau potable viendrait de puits qui, semble-t-il, ne sont pas en contact avec la nappe phréatique contaminée. On nous dit qu’il n’y a pas de problème et qu’elle est potable, mais tout le monde dit que l’eau a changé, et on émet des doutes. Est-ce parce qu’elle est traitée ? On n’a pas de données », a expliqué au Devoir Marilaine Savard mardi dernier, lors de son passage à Montréal.
Enfin des réponses
Toutes ces questions sans réponses ont conduit des citoyens à se regrouper. Les procédures pour créer un organisme sans but lucratif sont en cours. « On n’est pas là pour brandir des pancartes ou chialer, mais pour avoir des réponses, se prendre en charge et se responsabiliser. Pour ne pas sentir qu’on gère tout ça au-dessus de notre tête et qu’on n’a pas notre mot à dire », soutient Mme Savard.
Et vendredi dernier, un grand pas a été accompli. Deux médecins de la Direction de la santé publique de Sherbrooke ont rencontré les représentants du comité citoyen pour discuter des enjeux de santé. Des analyses des échantillons recueillis dans l’eau du robinet ont confirmé que celle-ci était propre à la consommation. Des mesures auraient même été prises advenant une contamination de la nappe phréatique alimentant les puits. Bien d’autres sujets ont été abordés, comme le suivi des premiers répondants accourus sur les lieux le soir du drame et les précautions qui seront prises lors des opérations de décontamination des sols. « Ça m’a vraiment rassurée. J’ai senti la bonne foi et la collaboration. Je n’ai pas senti qu’on nous cachait des choses. J’ai eu l’impression qu’ils prenaient ça au sérieux », a commenté Mme Savard quelques heures après la rencontre.
Voisine de la zone sinistrée
Marilaine Savard ne résidait pas à Lac-Mégantic lors des événements de l’été dernier. Elle demeurait à Lac-Drolet, mais, par une étonnante coïncidence, le soir du drame, elle dormait chez une amie de Lac-Mégantic. Même si elle se trouvait à l’extérieur de la zone touchée, elle a entendu les explosions qui ont déchiré la nuit.
Copropriétaire d’une entreprise de Lac-Drolet et massothérapeute de formation, elle a décidé, dans les mois suivants, de déménager à Lac-Mégantic et a fait l’acquisition d’une maison à quelques pas de la zone sinistrée. « Ça m’interpellait trop. Pour moi, c’était important de déménager proche de la zone sinistrée pour voir ça, même si j’avais une profonde peur de m’installer là. J’étais peut-être folle de m’installer près de la contamination, mais je me disais qu’il y en avait plein d’autres qui vivent là. [...] C’était comme un feu qui était en moi », relate celle qui voulait apporter sa contribution pour aider la communauté de Lac-Mégantic.
Elle s’est rapidement impliquée dans le comité citoyen dont elle est maintenant l’une des porte-parole. Pourtant, Marilaine Savard est native de… Montréal. « Je crois que les gens vont comprendre qu’on n’a pas besoin d’être méganticois pour avoir cette cause-là à coeur. Ça fait quand même dix ans que j’habite la région et que je fréquente Lac-Mégantic. »
Le comité espère pouvoir participer à la table de concertation qui sera mise sur pied par la municipalité dans le processus de reconstruction de la ville. Leurs représentants souhaitent aussi avoir l’occasion de rencontrer le ministre de l’Environnement, Yves-François Blanchet, lorsqu’il viendra à Lac-Mégantic.
Marilaine Savard est consciente que son groupe fait l’objet de critiques de ceux qui remettent en question la légitimité du comité ou jugent ses actions vaines. Mais, pour elle, le fait que la Direction de santé publique ait souhaité rencontrer les représentants du comité pour les informer sur les enjeux qui les préoccupaient lui donne plutôt le sentiment que les démarches entreprises par son groupe commencent à porter leurs fruits.