Affaire Villanueva - Le rapport du coroner apaise un peu la famille

La mort de Fredy Villanueva pour une banale partie de dés ne restera pas impunie. La mère du disparu et ses avocats ont l’intention de relancer leurs poursuites, au civil et au criminel, contre le patrouilleur Jean-Loup Lapointe et le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
Lilian Maribel Madrid a trouvé un peu de réconfort dans le rapport du coroner ad hoc André Perreault. La mémoire de son fils, abattu par le policier Lapointe en 2008, ne mérite pas d’être associée à celle d’un voyou qui aurait voulu désarmer ou tuer le patrouilleur, a estimé le juge. « Les raisons pouvant expliquer le décès de Fredy Villanueva sont plus bêtes que cela », écrit-il.
« Mon fils n’est pas un voyou. Il n’a jamais voulu désarmer Lapointe. Il n’était pas une menace pour la vie de Lapointe. Mon fils est mort pour rien », a dit la mère au bord des larmes.
Son avocat, Peter Georges-Louis, a réservé un accueil favorable au rapport Perreault. « La crédibilité de M. Lapointe a été entachée », a-t-il dit. Tout comme les avocats de la famille et des jeunes blessés lors de l’intervention (Denis Meas et Jeffrey Sagor-Métellus), le juge Perreault a constaté de nombreux « obstacles à la découverte de la vérité », résultat d’une enquête inéquitable de la Sûreté du Québec (SQ).
Cette enquête dite indépendante a mené le Directeur des poursuites criminelles et pénales à ne porter aucune accusation contre le policier Lapointe, qui a agi en légitime défense.
La famille Villanueva relancera sa poursuite au civil de 990 000 $ contre M. Lapointe et le SPVM. Les avocats ont déposé une plainte privée, au criminel, contre le policier, pour utilisation négligente d’une arme à feu, homicide involontaire et voies de faits graves.
Une plainte privée est un recours en vertu duquel une partie civile peut agir comme le ferait un procureur de la Couronne dans une cause criminelle. Au préalable, la famille devra obtenir la permission d’un juge pour que la plainte soit autorisée. Ce recours est rare et complexe. Me Georges-Louis est optimiste quant aux chances de succès de la famille Villanueva. « Il est évident pour nous, comme pour le coroner, que la crainte du policier Lapointe d’être désarmé était injustifiée dans les circonstances. Il était isolé dans sa perception de sa crainte », a-t-il commenté.
Des obstacles
L’enquête du coroner sur la mort de Fredy Villanueva a viré en procès des enquêtes de la police sur la police et en récriminations sur le profilage racial et social à Montréal-Nord.
La question du profilage a accaparé une bonne partie des audiences, mais le juge en fait très peu mention dans son rapport.
Il constate la surreprésentation des jeunes Noirs dans les interpellations, mais il ne croit pas que les policiers Lapointe et Pilotte sont intervenus pour des motifs racistes ou sur la base de profilage racial.
Le rapport comprend cependant une critique à peine voilée des enquêtes de la police sur la police.
Les agents Pilotte et Lapointe n’ont pas été séparés à la suite de la fusillade. Des témoins civils, blessés par balle, ont été interrogés sur leur lit d’hôpital alors que les policiers ont eu le privilège de bénéficier d’un long congé avant de rencontrer les enquêteurs, en présence de leurs avocats. Les enquêteurs présents sur place ne cherchaient pas à savoir qui avait tiré, et pourquoi, dans les premières heures de l’enquête. Des témoins civils, tels que Denis Meas, ont été arrêtés pour des raisons obscures. Un délégué syndical a pu rencontrer les policiers impliqués dans la fusillade avant les enquêteurs de la SQ, etc.
Les constats du juge Perreault vont relancer à coup sûr le débat sur la création du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), un projet qui stagne. « Il faut mettre un terme aux enquêtes de la police sur la police », a martelé Me Georges-Louis.
À Québec, le ministre de la Sécurité publique, Stéphane Bergeron, a donné l’assurance que l’appel de candidatures pour l’embauche d’un directeur du BEI sera lancé au printemps. Le ministre a commandé à son ministère une étude détaillée du rapport, et il a demandé à l’École nationale de police de lui expliquer comment les recommandations la concernant seront appliquées.
Un chef solidaire
Du côté du SPVM, le chef Marc Parent a refusé de jeter le blâme sur les policiers impliqués dans la tragédie de Montréal-Nord.
Avant même le dépôt du rapport du coroner, Jean-Loup Lapointe a été promu au sein du Groupe tactique d’intervention (appelé le « SWAT » dans le jargon policier). Marc Parent défend cette nomination, en insistant sur le fait que l’agent Lapointe a réussi tous les tests physiques et psychologiques requis pour ces fonctions dans lesquelles le doigté et le sang-froid sont de mise.
L’avocat Alain Arsenault, dont le client, Jeffrey Sagor-Métellus, a été atteint au dos par le policier Lapointe, n’est pas du tout rassuré. « Est-ce qu’il est au bon endroit ? Moi je pose la question et j’ai un bon doute sur la réponse qu’on devrait donner : non, il n’est pas au bon endroit. La direction du service de police devrait réévaluer le rôle de M. Lapointe comme policier », a-t-il tranché.
Le maire de Montréal, Denis Coderre a affirmé qu’il faisait pleinement confiance au SPVM. Montréal-Nord a beaucoup changé depuis la mort de Fredy Villanueva et l’émeute qui a suivi, a-t-il dit. Le maire a l’intention d’agir pour réduire la pauvreté et l’exclusion. « Nous travaillons tous ensemble. Le point majeur, c’est le développement social et la lutte contre la pauvreté pour avoir des citoyens qui se sentent comme des citoyens de première classe. »