L’absolution ou l’expulsion pour un agresseur sexuel?
Un ressortissant algérien, Lamri Douadi, risque l’expulsion du pays pour avoir commis une agression sexuelle sur une jeune femme. Deux valeurs sont en conflit dans cette affaire : la dissuasion contre l’intégration.
L’avocate de M. Douadi, Diane Chartier, a demandé au juge Jean-Paul Braun un report des audiences en détermination de la pleine, mardi au palais de justice de Montréal, pour lui permettre de verser au dossier des éléments qui rendront malaisée une sentence punitive.
Si M. Douadi ne bénéficie pas de l’absolution, les conséquences pourraient s’avérer dramatiques : l’interdiction de séjour au Canada. Pour sa victime, s’il est absous, la justice laisserait ainsi repartir un prédateur sans laisser de traces.
Les faits remontent à 2011. M. Douadi, un technicien de Bell, vient installer le câble chez la victime, une jeune femme de 19 ans. L’homme la harcèle alors verbalement avant de lui caresser les seins. Il a été reconnu coupable d’agression sexuelle le printemps dernier.
À l’issue du verdict, le juge Braun a réfléchi à haute voix sur les conséquences de la peine qu’il doit maintenant infliger à M. Douadi : « Est-ce qu’un geste d’égarement mérite [que l’on perde] son emploi, de risquer les efforts qu’il a faits pour être ici ? », s’est-il interrogé.
Formule-choc
Le juge a même eu cette formule qui a choqué la victime : « Ce n’est pas le crime du siècle. » Il est bien sûr possible en droit de calibrer un crime, mais de là à absoudre un délinquant pour des raisons humanitaires ? « Je ne suis pas venue ici pour le voir coupable, mais pour que ça n’arrive pas à d’autres personnes », a clamé la jeune victime.
« Dans son arrêt La Reine contre Pham, la Cour suprême a décidé que le juge peut tenir compte “ des conséquences indirectes, en matière d’immigration, de la peine ” », rappelle Martine Valois, professeure à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Autrement dit, dans le cas de M. Douadi, le juge doit considérer le fait qu’il puisse être expulsé en raison de son casier judiciaire. « Nous voulons démontrer que toute autre option que l’absolution constituerait une peine trop grave», a expliqué Diane Chartier.
Expulsé du pays pour avoir caressé des seins ? La prédation, si elle s’est arrêtée là, n’en demeure pas moins un crime, rappelle le Conseil du statut de la femme. « Ce n’est pas banal d’agresser une femme, il est difficile d’admettre l’absolution », soutient la présidente du Conseil, Julie Miville-Dechêne.
Lui éviter l’expulsion ? Ou le punir et donner à la sentence la valeur dissuasive que souhaite la victime ? Telle sera la question à laquelle devra répondre le juge Jean-Paul Braun. « On ne peut pas opposer l’importance de garder son emploi ou son statut et le traumatisme de cette femme », soutient Mme Miville-Dechêne.
Alors ? Trop punir ou pas assez ? Dissuasion ou intégration ? Lequel de ces principes permet ici de mieux rendre justice ? Pour Martine Valois, il faut « juger selon les faits et le droit ». C’est un rappel juridique judicieux dans une société complexe.