Le vélo comme porte-voix

Une petite révolution cyclisrétite - et électronique - s’organise ces temps-ci. Sous forme d’atelier, puis d’une éventuelle balade en groupe, l’Agit P.O.V. est un projet très montréalais qui prend lentement mais sûrement une expansion planétaire.
Vous êtes cycliste, peu ferré en électronique et un brin révolté par tout ce qui nous mène par le bout du nez dans la société ? L’atelier Agit P.O.V., offert demain et dimanche au centre Eastern Bloc, dans Villeray, est pour vous. Vous ne correspondez pas à cette description ? Peu importe : les gens de cet atelier de création et d’action s’occuperont de vous. Il ne faut qu’un vélo, qui deviendra votre porte-voix lorsque vous pédalerez.
L’étrange acrony me qui le chapeau te le dit presque : Agit P.O.V. est un projet à cheval (à vélo, dirions-nous) sur deux siècles. Quelque part entre la propagande russe postrévolutionnaire et le partage des savoirs de la révolution numérique. Ou entre l’agitprop, système de diffusion massive né chez les Soviets, et les appellations en initiales très courantes sur le Web et sa culture libre.
Mais rien à craindre, l’objectif est noble : encourager la prise de parole dans l’espace public.
Lors d’un atelier P.O.V - pour « petit objet vélo » ou « persistence of vision » -, les participants composent un message poético-politique d’un mot, à peine plus. Un microprocesseur et son circuit d’ampoules DEL l’attacheront aux rayons d’une roue de vélo. Puis, l’énergie du cycliste et l’effet de persistance rétinienne feront apparaître les lettres.
Ni Russe, ni gourou, même pas fou de vélo, du moins pas assez pour rouler l’hiver ; seulement artiste et professeur en arts médiatiques à l’UQAM, Alexandre Castonguay est l’homme derrière ce P.O.V. Il n’a pas eu un éclair de génie, enfermé dans sa tour.
Tout a commencé pendant la longue grève étudiante de 2012 qui a entraîné le corps professoral dans les manifs. « Les peintres ont fait des bannières, les gens en sérigraphie ont ouvert leurs ateliers, mais en arts numériques, on ne savait trop comment prendre part au discours, se souvient-il. Le dispositif est plus lourd, moins mobile. »
Le déclic est venu de l’histoire même de l’art, alors qu’un étudiant travaillait avec une roue de bicyclette, à la manière de Marcel Duchamp. Les recherches du prof Castonguay lui ont fait ensuite dénicher sur le Web un projet basé sur la persistance rétinienne à vélo, le Spoke POV d’une dénommée Ladyada.
La culture libre, le travail en équipe et l’ingéniosité, notamment d’un féru d’électronique, Thomas Ouellet Fredericks, ont été mis à contribution pour aboutir au premier prototype de ce vélo contestataire.
Les Agit P.O.V. sont nés de l’ébullition sociale. Si la cause n’en est plus au carré rouge, les raisons de la colère ne manquent pas. Ce week-end, les discussions tourneront autour de la laïcité péquiste, des élections municipales, de la corruption, des pipelines… « On a un contexte richissime, malheureusement », note Alexandre Castonguay. Depuis un an, des ateliers ont été donnés à Ottawa et à Toronto, au Nouveau-Brunswick, en Belgique, en Tunisie et en Colombie.
Le porte-parole de l’événement ne s’en cache pas : les avant-gardes russes et les premiers agitprov sont source d’inspiration.
« C’était une belle période, dit-il. Avant que Staline et ses généraux ne fassent descendre le réalisme soviétique sur tous, il y a eu un moment d’effervescence. Les artistes ont pris part à l’élaboration d’un nouveau message social, avec de nouvelles formes. Ce sont eux qui ont inventé des tactiques reprises des années plus tard par le commerce occidental, les annonces, les bannières dans les bus. Ce sont eux qui habitaient l’espace public d’une manière différente. C’est leur énergie qu’on a vou lu reprendre. »
Bien sûr, rouler en gang à Montréal ou en Colombie n’a pas le même impact. « On pensait que le projet serait plus ludique, mais non, il a un réel pouvoir », dit le prof artiste en évoquant la réaction provoquée par des cyclistes colombiens.
Dans ce pays où la répression de manifestants est courante, des gens munis de P.O.V. ont déjà été refoulés d’une activité festive parce qu’ils possédaient « un objet peu commun et alarmant ». « Et c’est un homme à main armée qui nous a dit ça », raconte Mariangela Aponte Nuñez, l’autre instigatrice d’Agit P.O.V.
Un fabuleux média
L’ancienne étudiante à l’Université Concordia, retournée en Colombie, considère la bicyclette comme un fabuleux média, efficace. À Cali, surtout, où la population cycliste est importante et où les voies alternatives et sécuritaires n’existent pas.
« Le dispositif du vélo offre une minirévolution quotidienne. Qu’une situation s’a méliore ou régresse, nous manifestons, dit-elle. Il est important que cette voix apparaisse chaque jour dans l’espace public. Elle découle d’une attitude très personnelle qui trouve écho dans la communauté. Les gens s’y intéressent parce que l’objet est créatif et attrayant. »
Cette petite révolution cycliste infiltre l’espace urbain d’une poésie politique assez souple pour enfler la planète entière. Ses mots simples mais significatifs, son esprit de partage et son accessibilité par le Web et les médias sociaux font sa richesse, garantissent sa longévité.
À Montréal, on verra rouler ces vélos lumineux dans quel ques jours, une semaine après la tenue de l’atelier du week-end. Si les places se remplissent vite, sachez qu’au printemps, lors du festival Sight Sound d’Eastern Bloc, Agit P.O.V. sera repris. Serez-vous de la partie ?
Collaborateur