Travailler aux racines des pratiques sociales pour continuer à progresser

Martine Letarte Collaboration spéciale
L’intersection des oppressions est un enjeu d’avenir pour le mouvement féministe, qui ne doit pas laisser tomber des luttes, comme celle pour les droits des femmes autochtones.
Photo: Annik MH de Carufel - Le Devoir L’intersection des oppressions est un enjeu d’avenir pour le mouvement féministe, qui ne doit pas laisser tomber des luttes, comme celle pour les droits des femmes autochtones.

Ce texte fait partie du cahier spécial États généraux du féminisme

Le mouvement féministe est bien loin d’où il était il y a 50 ans, et même il y a 20 ans. Le Québec a changé, tout comme l’environnement dans lequel il évolue, ainsi que le visage de ses militantes féministes. Tour d’horizon avec Alexa Conradi, présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), et Délice Mugabo, une des porte-parole du Comité d’orientation des États généraux de l’action et de l’analyse féministes.

 

« Le mouvement féministe a beaucoup changé, il est maintenant très diversifié et ses actions doivent être ancrées dans les multiples réalités vécues par chacune des femmes », affirme Délice Mugabo, qui se décrit comme « black feminist ».

 

Elle croit que l’intersection des oppressions est un enjeu d’avenir pour le mouvement féministe, qui ne doit pas laisser tomber des luttes à travers ses actions. « Je pense par exemple à toutes ces femmes autochtones disparues au pays », dit cette travailleuse du milieu communautaire active dans Côte-des-Neiges, à Montréal, en lutte contre la pauvreté et pour le droit au logement.

 

En 2011, l’Association des femmes autochtones du Canada a demandé la tenue d’une enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. L’organisation a documenté plus de 600 cas à l’échelle du pays. « Nous pensions que la vie des femmes était importante, mais pas celle de toutes les femmes, de toute évidence, indique Délice Mugabo. Certaines peuvent disparaître sans que les gouvernements réagissent. Imaginez la réaction si autant de femmes blanches étaient disparues. »

 

Celle qui fait partie du conseil d’administration de la FFQ croit qu’il est aussi temps de revoir les pratiques bien ancrées du mouvement. « Il faut revoir la façon dont les décisions sont prises, pour amener des transformations qui permettront à toutes les femmes de sentir qu’elles ont leur place dans le mouvement », affirme-t-elle.

 

Avancées et défis en emploi

 

Le Québec a fait du chemin dans les dernières années pour mieux reconnaître le travail des femmes, avec la loi sur l’équité salariale. « On peut en être fières, même si elle ne s’applique pas à toutes les travailleuses, que chacune des entreprises ne l’applique pas parfaitement et que toutes les travailleuses ne connaissent pas leurs droits », affirme Mme Conradi.

 

L’arrivée de services de garde accessibles représente aussi une avancée majeure. « C’est vrai surtout pour les femmes de classe moyenne qui travaillent de 9 à 5, remarque Mme Conradi. Le coût des services de garde, qui était faramineux, pouvait leur mettre de la pression pour rester à la maison plutôt que d’être sur le marché du travail. Ces services expliquent en partie pourquoi le Québec a l’un des plus hauts taux de participation au marché du travail des mères. Toutefois, pour les femmes issues d’un milieu populaire avec des emplois précaires, c’est plus difficile, parce que les services offerts sont limités lorsqu’il est question de temps partiel, de soirées et de fins de semaine. »

 

De plus, alors que beaucoup de femmes ont accédé à des professions libérales et ont vu leur situation économique s’améliorer, d’autres sont toujours en situation très précaire.

 

« Seulement 25 % des femmes vont à l’université, dit Alexa Conradi. Les autres occupent des emplois assortis de conditions de travail souvent difficiles, comme caissière, préposée aux bénéficiaires, agente au service à la clientèle. La lutte n’est pas terminée : on doit ne laisser personne derrière. »

 

Alexa Conradi s’inquiète aussi de l’épuisement dont témoignent beaucoup de femmes. « Elles sont constamment sous pression, celles qui travaillent trop en plus d’avoir à s’occuper de leur famille, comme celles qui travaillent à temps partiel contre leur gré et qui n’arrivent pas à subvenir adéquatement aux besoins de leur famille, remarque-t-elle. Le taux de dépression est plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Je crois que c’est en raison de l’ordre social établi où les femmes accumulent les pressions. »

 

Alexa Conradi croit aussi qu’il est temps que les femmes soient plus prises en considération dans les politiques économiques comme les budgets et les accords de libre-échange. « Le gouvernement ne fait jamais d’analyse différenciée selon les sexes de ses politiques, déplore-t-elle. Pour nous, c’est pourtant majeur. On aimerait aussi voir le gouvernement penser en amont à des politiques structurantes de l’économie pour améliorer l’égalité homme-femme. L’égalité de droit est acquise, mais on doit maintenant travailler aux racines des pratiques pour continuer à progresser. »

 


Collaboratrice

***

ESPACE PUBLIC ET SOCIALISATION

Le Québec, comme plusieurs autres provinces canadiennes, a maintenant une première ministre.

« On voit de plus en plus de femmes jouer des rôles importants dans l’espace public, ce qui permet d’avoir des modèles, mais il en manque encore beaucoup, affirme Alexa Conradi. Les femmes doivent se convaincre qu’elles ont la capacité de jouer ces rôles, les différents milieux doivent reconnaître l’apport des femmes et aussi changer leur culture de travail pour en attirer plus. »

La socialisation des femmes inquiète d’ailleurs la présidente de la FFQ. « J’ai 42 ans et, lorsque j’étais enfant, Lego n’avait pas de jouets sexués. Maintenant, c’est le cas. On est en train de renforcer les stéréotypes par la socialisation. C’est la même chose lorsqu’on dit que les garçons ont besoin de plus de sport à l’école. Souvent, on n’offre pas cette possibilité aux filles, alors que certaines en bénéficieraient. »

Elle souhaite que tous aient accès à l’ensemble des possibilités.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

À voir en vidéo