La laïcité ne se réduit pas à un enjeu nationaliste

La laïcité est une valeur universelle avant d’être une valeur québécoise, soutient l’historien Yvan Lamonde. Il est également déçu que le projet de Charte des valeurs québécoises, dévoilé la semaine dernière par le ministre Bernard Drainville, accorde un droit de retrait à certaines institutions qui voudront s’en prévaloir.
Yvan Lamonde est très en faveur de la laïcisation de l’État québécois. Il signe ces jours-ci un essai intitulé Quelle laïcité ? en collaboration avec Bruno Demers, aux éditions Médiaspaul.
Son ouvrage précédent, L’heure de vérité, La laïcité québécoise à l’épreuve de l’histoire, aux éditions Delbusso, portait aussi sur le sujet.
Un contexte nouveau
« Il faut compléter le processus de laïcisation au Québec » entrepris avec la Révolution tranquille, soutient-il. « Il s’avère que ce processus, on veut le compléter dans un contexte nouveau, où l’immigration a joué et joue un rôle significatif. La population musulmane représente de 1 à 2 % de la population québécoise. »
Mais pour lui, « le gouvernement agit pour les Québécois qui étaient là il y a vingt ans, et qui veulent mener à terme le processus de reconnaissance formelle de la laïcité pour cette très grande majorité. Cela se fait dans un contexte un peu nouveau, mais on a excessivement tendance à penser que le gouvernement agit parce qu’il vise une communauté religieuse. »
C’est pourquoi il estime que le gouvernement du Parti québécois a « beaucoup de courage » d’avancer un projet de reconnaissance formelle de neutralité de l’État.
Mais il déplore que ce même parti fasse de la laïcité une valeur québécoise plutôt qu’un enjeu universel. Cette charte aurait dû être présentée comme « un enjeu démocratique » plutôt qu’« un enjeu nationaliste », dit-il. « Ce qu’il faut expliquer aux gens, c’est que les valeurs québécoises comprennent les valeurs universelles de la neutralité et de la laïcité », dit-il. Selon lui, le projet de Charte déposé par le Parti québécois aurait pu être plus pédagogique à cet égard, et aborder les notions de « liberté de conscience », et de « liberté de religion », d’« égalité des citoyens », et de « séparation de l’Église et de l’État ». Dans ce contexte, croit-il, le projet aurait été mieux accueilli dans la population.
« La liberté de conscience est antérieure à la liberté de religion. La liberté de religion ne vise que ceux qui disent appartenir à une religion », dit-il, ajoutant que quelque 930 000 Québécois affirment n’appartenir à aucune religion.
« Ma prétention, c’est de dire que quand on présente les choses comme étant des valeurs humaines, la liberté de conscience, la liberté de religion, ce qui concerne les humains dans une société démocratique, on peut prévoir une réceptivité plus rationnelle. Et cela empêche quelque instrumentalisation que ce soit. La neutralité, cela veut dire, comme on le précise dans le document, que l’État ne favorise ou ne défavorise aucune religion, tout en assurant à chacune d’entre elles la possibilité d’exister. »
Beaucoup de concessions
Il trouve par ailleurs qu’« il y a beaucoup de concessions » dans le projet. « Le droit de retrait est l’un des deux grands paradoxes de ce projet de loi », dit-il. « Si on donne le droit de retrait à autant d’institutions, c’est peut-être parce qu’on a intériorisé toutes les luttes qu’on a dû faire à propos de la loi 101. Plutôt que de permettre aux institutions d’aller en cour et de contester, d’entrée de jeu, on leur donne un droit de retrait. […] Je comprends qu’on met dans la balance le projet de la reconnaissance formelle de la neutralité dans un plateau et, dans un autre plateau, les résistances qu’il peut y avoir. La question est de savoir si ces retraits ne sont pas un prix trop lourd à payer pour une reconnaissance formelle », dit-il.
Pour l’historien, le crucifix devrait d’ailleurs être retiré de l’Assemblée nationale. « Je ne pense pas que ça relève du patrimoine religieux du Québec », dit-il à ce sujet. Ce crucifix est plutôt un symbole de maintien de l’alliance entre l’Église et l’État, établi par Maurice Duplessis en 1936.
« Duplessis a mis le symbole de sa politique qui était une politique d’alliance de l’Église et de l’État. Mais on en a fini avec cela. D’ailleurs, le parti politique dont il était le chef n’existe plus », dit-il. « Il n’y a plus un parti politique qui veut qu’il y ait une alliance entre l’Église et l’État. N’appelons pas cela du patrimoine, ce n’est pas de la religion, c’est une position politique particulière. »
Pour cette raison, le crucifix de l’Assemblée n’a pas le même poids que tous les autres crucifix que l’on trouve sur le territoire québécois, que ce soit les croix de chemin, la croix du mont Royal ou le crucifix qui est encore érigé sur certaines écoles. « Mais l’Assemblée nationale est un lieu unique, un symbole de la vie civile des citoyens », soutient-il.