Lac-Mégantic - Cri du coeur des maraîchers

Lac-Mégantic — Malgré les appels à l’achat local, les petits producteurs de fruits et de légumes de la région de Lac-Mégantic peinent toujours à se relever depuis la catastrophe ferroviaire. « On dirait que le monde a figé. Ça a arrêté de grouiller », lance Gaétan Roy, à la tête de la Fraisière et framboisière Carmen et Gaétan Roy.
M. Roy vend oui des fraises, oui des framboises, mais aussi une panoplie de légumes bio qu’il laisse croître lentement en serre : des pommes de terre, des fèves, des tomates, en voulez-vous, en voilà. « Des zucchinis, j’en ai ben trop », interrompt-il, jetant un coup d’oeil vers les immenses paniers bourrés de courges vert bouteille.
« Un peu plus » de personnes ont arrêté leur automobile dans l’entrée de gravier de la fraisière et framboisière pour repartir quelques minutes plus tard avec des sacs remplis de produits frais. « Il y a un peu de touristes qui arrêtent, oui. Mais, dire que l’appel à l’achat local a donné une grosse, grosse affaire, non. »
La tragédie ferroviaire est survenue au lendemain du coup d’envoi de la production de fraises. M. Roy s’apprêtait à livrer 25 boîtes - chacune d’entre elles renfermait huit petits paniers de fraises - au marché Metro A. Valiquette. « Ça commençait ! On avait du stock en masse ! Il était beau. » Mais, en passant au travers de son champ pour terminer sa course de longues secondes plus tard dans le centre-ville de Lac-Mégantic, le « train fantôme »de la Montreal, Maine and Atlantic Railway a anéanti tout espoir de couronner une saison fructueuse du côté de la Fraisière et framboisière Carmen et Gaétan Roy.
L’épicerie en zone rouge
Après avoir été contraint de fermer ses portes, le marché Metro, le plus grand client de la fraisière et framboisière, a dû décliner toute livraison de nouvelles denrées. Les Méganticois ont, eux, eu moins la tête à faire la cueillette de petits fruits. « On a quasiment été tous touchés par la tragédie. Un, c’est la nièce. L’autre, son mononcle. L’autre, son voisin. L’autre, son ami. Il n’y en avait pus ben, ben qui avaient envie se mettre à genoux pour ramasser des fraises, souligne M. Roy. Ça a commencé à pourrir dans le champ. Celles qui étaient gâtées, le monde ne les a pas ramassées. »
« Le mal était fait », poursuit Luc Fillion, qui inaugurait sa première année derrière le comptoir de la fraisière et framboisière de Nantes. Le jeune homme nourrissait le projet de faire l’acquisition de la propriété de M. Roy. Pourra-t-il mener à terme son projet de Fraisière Fillion ? « Ça va être un peu plus dur », admet-il.
À ce moment-ci d’une « année charnière », il évalue ses pertes quelque part entre 50 et 60 % par rapport aux recettes engrangées au fil des dernières années. Entre 1500 et 2000 livres de fraises sont vendues en temps normal durant une « bonne journée ». Depuis la catastrophe, de 400 à 500 livres - ou 600 livres lors de rares jours bénis - trouvent preneurs.
« Metro va-t-elle rouvrir dans deux jours, un mois, six mois, deux ans ? On ne le sait pas », dit M. Roy, regrettant que les autorités ne puissent pas indiquer avec davantage de précision la date de la réouverture du coeur de la municipalité.
Le marché Metro, qui se trouve actuellement dans la zone rouge, devait se porter acquéreur de 10 à 15 % de la production de la Fraisière et framboisière Carmen et Gaétan Roy.
Pour sa part, le supermarché Maxi semble, lui, avoir verrouillé à double tour son magasin de Lac-Mégantic aux fruits et légumes cultivés dans sa cour arrière. Des paniers en plastique de fraises arrivant tout droit de Watsonville, Californie, trônent sur les étals de la grande surface.
Fierté locale
Gaétan Roy et Luc Fillion devront sans doute faire une croix sur de l’aide gouvernementale. « Ça regarde mal », laisse tomber M. Roy. Bien que le marché Metro ne compte plus parmi ses « gros » clients et que les résidants de Lac-Mégantic n’ont pas le coeur à cueillir leurs petits fruits ou à faire un détour de plusieurs kilomètres pour s’approvisionner à partir de leurs kiosques, ils ne se qualifient pas pour les programmes d’aide annoncés jusqu’ici.
Ils n’affichent pas une mine basse pour autant. Ils sont à pied d’oeuvre à l’aurore. « Écrivez, c’est le début de la framboise et du bleuet! Et la fraise d’automne, elle est arrivée ! »
« C’est une fierté de vendre des produits locaux frais tous les jours », ajoute Linda Beaudoin, derrière le comptoir de Fruits et légumes Ferme M. et J. C. Couture. Elle a dû mettre à la poubelle des fruits et des légumes en raison de la baisse d’affluence des trois dernières semaines au point de vente sis tout près de la polyvalente Montignac. « Depuis la tragédie, ça a dropé ! Ça commence juste [à se replacer] », précise-t-elle, esquissant un pâle sourire.
« L’ambiance n’est pas bonne cette année. On se connaît tous à Lac-Mégantic », conclut Mme Beaudoin, avant de préciser qu’elle a perdu un neveu dans le brasier. « C’est dur. »