511 jours terrés dans une grotte pour survivre à l’Holocauste

Sima Dodyck et Sam Stermer ont survécu à l’Holocauste en se terrant dans un réseau de grottes pendant près de deux ans.
Photo: Pedro Ruiz - Le Devoir Sima Dodyck et Sam Stermer ont survécu à l’Holocauste en se terrant dans un réseau de grottes pendant près de deux ans.

Lorsque la jeune Sima Dodyck, cinq ans, est sortie de sous terre après avoir passé près de deux ans dans une grotte ukrainienne pendant la Deuxième Guerre mondiale, la lumière du soleil était si forte qu’elle lui brûlait les yeux.


« J’ai dit à ma mère d’éteindre la chandelle. Je croyais que c’était une chandelle, j’avais oublié la lumière du soleil, raconte-t-elle, 69 ans plus tard, dans son salon de Côte-Saint-Luc, à Montréal. C’est depuis ce moment que je porte des lunettes. »


C’est l’incroyable histoire de Sima Dodyck et de sa famille que la cinéaste Janet Tobias raconte dans le film No Place on Earth, qui sera diffusé à partir de vendredi au Cinéma du Parc, à Montréal. No Place on Earth, c’est l’histoire de la famille juive ukrainienne Stermer, qui a dû fuir les nazis et les Ukrainiens en 1942 en se terrant dans deux grottes d’Ukraine durant 511 jours.


C’est le spéléologue Chris Nicola qui a mis à jour cette histoire après avoir trouvé des artefacts humains dans le système géant des caves de Gypse, en Ukraine, qu’il croyait jusque-là inexplorées : des souliers, des boutons, voire des clés et de la vaisselle. « Comment des souliers d’enfants pouvaient-ils avoir été laissés dans ces grottes ? », se demandait-il. En faisant quelques recherches, il a découvert que ces grottes avaient servi de refuge à cinq familles juives, dont plusieurs membres vivent aujourd’hui à Montréal.

 

À la lueur d’une chandelle


Ces familles ont survécu quasi miraculeusement à l’Ukraine sous occupation nazie, qui pratiquait une extermination totale des juifs qui l’habitaient.


« Il y avait environ 1500 juifs dans notre petite ville, Korolowka, avant la guerre. Seulement 75 ont survécu à la guerre, dont 16 ont été tués après la guerre par les Ukrainiens », raconte Sam Stermer, autre survivant protagoniste du film, aujourd’hui octogénaire, et qui a une entreprise de construction à Montréal.


Alors que, durant la guerre, les femmes et les enfants de la grotte ne sortaient jamais de sous terre, les hommes s’échappaient la nuit pour couper du bois et trouver de quoi manger, généralement des pommes de terre et du grain. Dans la grotte, les familles s’étaient fabriqué des lits, avaient apporté une meule pour moudre de la farine. Dans la deuxième grotte, un lac servait de ravitaillement en eau.


Elles vivaient la plupart du temps dans le noir, quand elles ne s’éclairaient pas à la lueur d’une chandelle. « On n’aurait pas pu voir nos propres mains tellement il faisait noir, raconte Sima. Mais je n’avais pas peur du noir, j’avais seulement peur des chauves-souris, et il y en avait beaucoup. »

 

125 kilomètres


En fait, la grotte était pour eux une sorte de paradis, où les enfants pouvaient courir à leur guise, alors qu’ils auraient dû autrement s’entasser dans des bunkers creusés sous les maisons pour se cacher des nazis. Il faut dire que le système de grottes d’Ukraine fait autour de 125 kilomètres de long.


À l’occasion du tournage du film, plusieurs membres de la famille Stermer, dont Sam, qui avait 86 ans, et Saul, qui en avait 91, sont retournés visiter leurs grottes ukrainiennes.


« Ma soeur Sonia et moi, nous avions juré de ne jamais remettre les pieds en Ukraine, raconte Sima. Mais nous sommes retournées seulement pour dire merci à notre grotte. »


Il faut dire que durant et même après la guerre, les Ukrainiens ont été pour la plupart sans pitié avec les juifs. Un épisode choquant du film raconte comment un groupe de villageois a tenté, sans autre motif que la haine, d’enterrer les familles pour de bon en bloquant la seule issue praticable des grottes. Résilients à l’extrême, les frères Stermer ont ensuite creusé une autre issue pour leur labyrinthe. Selon Chris Nicola, la famille Stermer a ainsi fracassé des records mondiaux de survie dans une grotte. Ceci s’est d’ailleurs fait sans aucun entraînement, le plus jeune ayant alors deux ans et demi, et le plus vieux, au-delà de 70 ans.


« Lorsque nous sommes retournés dans les grottes pour le film, les experts nous ont dit de porter des combinaisons, des chandails et des chapeaux de laine, etc. pour descendre dans les grottes… Mon oncle Sam m’a dit : “Oublie les combinaisons, quand tu avais trois ans, tu courais dans la grotte nu-pieds et tu n’as jamais été malade” », raconte Sima.


Le père de Sam Stermer et le père de Sima Dodyck ont tous deux été tués en Ukraine dans les mois qui ont suivi la libération par les Russes et la fin de la guerre.


À voir en vidéo