En désespoir de Rose

Paul Rose à l’entrée du palais de justice de Montréal en janvier 1971. Son garde-chiourme, Albert Lysachek (à droite), s’empressera de rabaisser son poing combatif tendu vers le ciel.
Photo: La Presse canadienne (photo) Paul Rose à l’entrée du palais de justice de Montréal en janvier 1971. Son garde-chiourme, Albert Lysachek (à droite), s’empressera de rabaisser son poing combatif tendu vers le ciel.

Acteur central de la crise d’Octobre en 1970, militant socialiste et ancien président du Nouveau parti démocratique au Québec, Paul Rose est décédé jeudi des suites d’une attaque cérébrale.

En 1969, Paul Rose n’est pas encore Paul Rose. À la belle saison, il anime avec d’autres la Maison du Pêcheur à Percé, un vivier de contestataires et de jeunes en quête d’un monde nouveau dont la simple expression des rêves suscite déjà la colère des autorités. Imaginez alors le moment où ce groupe s’empare de la station de radio de New Carlisle pour dénoncer sur les ondes la misère dont souffrent les Gaspésiens !

Né dans le quartier Saint-Henri en 1943, c’est-à-dire exactement au milieu du monde du Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy, Paul Rose a huit ans lorsque sa famille déménage à ville Jacques-Cartier, un quasi-bidonville aujourd’hui avalé par Longueuil. Comme l’écrit Jacques Ferron, médecin du lieu, les chiens de ville Jacques-Cartier remplacent la police, les bécosses, l’égout, les puits, l’aqueduc. Les trottoirs et l’asphalte y sont inexistants.

Garçon d’ascenseur, plongeur, manoeuvre, débardeur, professeur de mathématique et de français ici et là, Paul Rose arrive à payer tant bien que mal ses études au collège Sainte-Marie. Il fait ses gammes politiques au sein du Rassemblement pour l’indépendance nationale présidée par Pierre Bourgault. Toute la famille Rose, à commencer par sa mère Rose Rose, souhaite connaître un jour un monde où les hommes seront égaux non seulement devant la loi, mais aussi dans les faits.

La marginalisation du français, langue de la majorité au Québec, lui apparaît une des injustices criantes qui affectent en définitive la condition socio-économique des siens. Il prend une part active aux rudes manifestations de la Saint-Jean de 1968, à celles pour des écoles françaises à Saint-Léonard la même année, ainsi qu’aux actions qui dénoncent le financement public de l’université anglaise de McGill. Les militants connaissent et reconnaissent ce grand gaillard convaincu et convainquant qui dépasse tout le monde de deux têtes au moins. Mais le grand public ignore encore à peu près qui il est.

 

Crise d’Octobre

Paul Rose ne devient Paul Rose qu’en 1970. Avec Jacques, son frère, Bernard Lortie et Francis Simard, ils forment la cellule Chénier au sein du Front de libération du Québec.

Le 10 octobre 1970, cette cellule kidnappe devant chez lui Pierre Laporte, « ministre du chômage et de l’assimilation » du gouvernement de Robert Bourassa, tel que l’affirme le communiqué. Ce faisant, les felquistes tentent de soutenir l’action impromptue d’une autre cellule responsable de l’enlèvement de James Richard Cross, un attaché commercial du Royaume-Uni. Ce type d’action terroriste connaît alors une vague de popularité dans les milieux révolutionnaires internationaux, mais il n’est pas pour autant prisé par l’ensemble des felquistes.

Une semaine après ce coup d’éclat de la cellule Chénier, on retrouve le politicien et ancien journaliste du Devoir raidi par la mort, recroquevillé au fond du coffre d’une voiture abandonnée sur un terrain de l’aéroport de Saint-Hubert. Paul Rose, on le saura plus tard, n’était pas dans la maison des ravisseurs au moment du décès de Pierre Laporte.

Cet Octobre québécois est marqué par la mise en vigueur de la Loi sur les mesures de guerre, un cadre qui donne libre cours à la détention arbitraire de près de 500 personnes. L’épisode fait date dans les consciences au Québec.

Après Octobre 1970, la traque des frères Rose et de Francis Simard par les bras armés de l’État canadien ne fait qu’accroître l’intérêt pour ces fugitifs. On finit par les repérer en décembre, au fond d’un tunnel de fortune construit de peine et de misère dans le sous-sol gelé d’une maison de ferme. La reddition est l’objet d’une négociation dont on charge en bout de compte l’écrivain Jacques Ferron.

Devant ses juges, Paul Rose doit d’abord se défendre lui-même puisqu’on lui refuse l’aide du coloré avocat Robert Lemieux, alors en prison lui aussi dans le contexte de la crise. Rose est expulsé de son propre procès. Il croupira douze ans derrière les barreaux, avant d’obtenir une libération conditionnelle qui ne lui aura pas permis d’assister aux dernières heures de sa mère.

Ses conditions de détention seront parmi les plus sévères : incarcéré 23 heures et demie sur 24, sous une lumière constante. La libération conditionnelle est assujettie à une interdiction de faire partie d’organisations politiques et syndicales, de faire des déclarations publiques et d’assister à des assemblées politiques ou des manifestations. Des manifestations et des soirées sont organisées contre ces sanctions supplémentaires imposées à ceux que nombre d’intellectuels considèrent comme des prisonniers politiques. Des artistes chantent pour Paul Rose : Claude Gauthier, Gilles Vigneault, Pauline Julien, Raymond Lévesque, pour ne nommer que ceux-là, auxquels s’ajoutent des artistes africains et amérindiens.

« Je ne regrette rien, confiera Paul Rose au Devoir : 1970, les enlèvements, la prison, la souffrance, rien. J’ai fait ce que j’avais à faire. Placé devant les mêmes circonstances, aujourd’hui, je ferais exactement la même chose. Jamais je ne renierai ce que j’ai fait et ce qui est arrivé. Ce n’était pas une erreur de jeunesse. »

Libre, il va se consacrer au militantisme social. Il écrit et participe aux activités du mensuel L’Aut’Journal pendant de nombreuses années. C’est d’ailleurs ce journal qui a annoncé jeudi sa mort.

 

Le nouveau monde

Paul Rose va plaider sa vie durant pour un monde où la disparité économique ne serait plus un fait de tous les jours aux conséquences désastreuses. « La solidarité, c’est une dimension importante dans la construction de toute société, et ça a été un élément central de notre vie familiale, autant à l’école, qu’au travail et dans les engagements politiques, sociaux, syndicaux », dit-il en 2004 au moment de présenter un projet de télésérie sur l’engagement politique et social.

Paul Rose fut très lié à Michel Chartrand. Fort en gueule, celui-ci ne manquait d’ailleurs jamais l’occasion de lui rendre hommage dans une boutade plusieurs fois répétée. Chartrand disait adorer l’architecture du nouveau pont de Québec, mais que son éclairage légèrement rosé la nuit l’encourageait à l’appeler « le pont Rose » plutôt que le « pont Pierre-Laporte ».

En 1982, Paul Rose avait signé avec les autres membres de la cellule Chénier Pour en finir avec Octobre, un livre écrit par Francis Simard. Le groupe s’était par la suite définitivement brouillé.

Parlant des Rose, le cinéaste Pierre Perrault soutenait pour sa part que ces gars-là « avaient eu du courage et méritaient qu’on les encourage ». « Dans notre histoire, écrivait Perrault, nous n’avons pas beaucoup d’exemples de courage pour susciter l’avenir, pour dérider la peur, pour accueillir une légitimité, pas beaucoup d’hommes d’honneur qui nous enseignent à refuser l’enclos de la médiocrité. » Pour son engagement social et politique envers les moins nantis, Paul Rose suscitait toujours une solide vague d’admiration.

Son monde idéal, il le définissait sans faillir : « Je ne veux pas du pays à Parizeau. Je ne veux pas d’une souveraineté de business man. L’indépendance, c’est l’affaire de tous. Des pauvres, comme des riches. Il s’agit d’un projet de société visant le respect des travailleurs et la fin d’une économie froide et inhumaine. »

En 2012, lors du printemps érable, il avait soutenu à plusieurs reprises les étudiants. Jeudi, le député de Québec solidaire Amir Khadir a souligné son importance dans l’histoire tandis que le Parti libéral et le Parti québécois préféraient s’abstenir de tout commentaire.

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