Il y a 50 ans : Vatican II - Le concile qui a bouleversé l’Église

Mais le déroulement du concile s’avéra une aventure aussi considérable qu’ardue. Le célèbre cardinal québécois Paul-Émile Léger dira qu’il avait « senti battre l’aile de l’Esprit dans l’aula conciliaire » !
Certes, les évêques invoquaient quotidiennement l’aide de l’Esprit-Saint. En réalité, ils lui donnèrent énormément de fil à retordre ! Une intellectuelle catholique française, Christine Pedotti, en fait la démonstration dans un livre passionnant intitulé La bataille du Vatican, paru il y a quelques mois aux éditions Plon.
Ce concile heurtait en effet le gouvernement central de l’Église (la « curie »), dominé par le Saint-Office chargé de préserver l’orthodoxie. Ce ministère « suprême » avait à sa tête le cardinal Alfredo Ottoviani, un traditionaliste avéré et combatif. L’aile conservatrice ne comprenait pas la raison d’être du concile puisqu’en 1870, le concile Vatican I avait défini l’infaillibilité pontificale. Même si pour le pape parler ex cathedra était chose exceptionnelle, ce dogme renforçait son autorité dans l’exercice de son « magistère » ordinaire, une doctrine jugée irréformable.
Or c’est sous la gouverne d’Ottaviani que furent menés les travaux préparatoires à Vatican II, si bien que les « schémas » furent tous rédigés en fonction des mandats respectifs des ministères romains. Ils ne faisaient que répéter la doctrine élaborée depuis cent ans. Ottaviani s’attendait donc à ce que le nouveau concile soit réglé au bout de deux ou trois mois.
Les choses se passèrent autrement. Dès l’ouverture du concile, le cardinal dut faire face à un barrage inattendu : les évêques rejetèrent en bloc les projets de documents. Il fallut tout reprendre. Le combat entre conservateurs, pourtant très minoritaires, et progressistes perdura jusqu’à la fin du concile. Les documents, négociés jusque dans les virgules, furent finalement tous acceptés à des majorités frisant l’unanimité.
Pendant ce temps, Jean XXIII mourut à l’été 1963. Il fut remplacé par Paul VI qui continua l’entreprise. C’est lui qui clôtura l’assemblée le 7 décembre 1965.
Ainsi, personne, hors quelques cénacles d’intégristes, n’a protesté contre la suppression du latin dans la messe. On mesure mal à 50 ans de distance l’impact culturel de ce changement. Dorénavant, chaque dimanche, les fidèles entendaient dans leur langue des textes conçus dans une tout autre culture : « Pourquoi les rois de la terre se soulèvent-ils, et les princes se liguent-ils avec eux contre l’Éternel et contre son oint ? », dit le psaume no 2. En écoutant cela, il y avait de quoi perdre… son latin ! Déjà, au début du concile, la pratique religieuse était en déclin. Peut-être cette révolution culturelle a-t-elle favorisé d’autres abandons.
Mais on souhaitait surtout, par le renouvellement interne de l’Église, y renforcer l’appartenance des fidèles : ils en étaient dorénavant membres de plein droit. On espérait même voir les « égarés » rentrer au bercail. Or ces espoirs ont été vains. Après le concile, les catholiques ont déserté massivement. Les prêtres, les religieux ont quitté leur état par milliers. Et chez ceux qui sont restés, un phénomène inédit s’est produit, du moins en Occident : la majorité, même chez les pratiquants, ne soumettent plus l’interprétation de leur foi, encore moins les règles de conduite de leur vie, aux prescriptions du pape ou de leurs évêques. Faut-il dès lors s’étonner qu’un tout récent synode des évêques à Rome (une institution issue de Vatican II !) propose une « nouvelle évangélisation » ?
Que s’est-il passé ? Essentiellement deux phénomènes.
Le premier touche l’Église même et se décline en trois actes, tous trois liés à l’histoire même de Vatican II et à ses suites.
Premier acte. Pendant que l’on préparait le concile, la « pilule » est arrivée sur le marché. Dès lors s’est posée d’une façon nouvelle la question de la contraception. Or Paul VI l’a soustraite à la délibération du concile pour la confier à une commission spéciale. Et en juin 1968, le pape a tranché : c’était non à la pilule et à tout autre moyen artificiel de contraception. Cette décision a provoqué la débâcle. Même chez les catholiques restés fidèles, elle a été largement ignorée. Aujourd’hui encore, la position du pape concernant l’usage du condom pour empêcher la propagation du sida fait scandale.
Deuxième acte. Paul VI a aussi soustrait à la délibération du concile la question du célibat des prêtres. C’est un autre pape, Jean-Paul II, qui des années plus tard va clore fermement ce débat. Cette décision a soulevé une incompréhension généralisée chez les catholiques, d’autant que cette règle n’a été imposée universellement qu’au XIIe siècle et qu’elle n’existe pas non plus dans les Églises catholiques orientales. La logique de Rome échappe toujours au plus grand nombre au moment où les communautés chrétiennes, ici comme ailleurs, sont dépourvues de prêtres.
Troisième acte. L’Église, qui, au concile, a voulu lire « les signes des temps », se dit d’accord avec l’égalité des hommes et des femmes, mais bloque en même temps l’accès de ces dernières à la prêtrise. Pire, pour Rome, le sujet est clos.
Bref, ces décisions majeures ont créé le sentiment que Vatican II n’est pas allé au bout de sa démarche et que, depuis, le conservatisme romain domine.
Il faut noter que ces trois blocages ont tous comme arrière-fond la sexualité et le rapport aux femmes. C’est même à l’issue d’une longue bataille que le concile a finalement accepté que l’amour soit une des fins du mariage ! Mais il faut lire les circonvolutions avec lesquelles on en a parlé. On a du reste averti que l’amour « dépasse de loin l’inclination simplement érotique qui, cultivée pour elle-même, s’évanouit vite et de façon pitoyable ».
Les médias aussi se sont sécularisés. S’ils ont relayé les travaux du concile, au milieu des années 70, ils ont cessé progressivement de s’intéresser aux questions religieuses. Récemment, seule la sanctification du frère André a eu ici son heure de gloire médiatique en raison de ses dons de thaumaturge. Et la pédophilie pratiquée par les religieux prend bien de l’espace.
Les catholiques, à moins de fréquenter les sites Internet des Églises, ignorent donc les activités et l’enseignement de leurs chefs spirituels. Par exemple, la collégialité des évêques, revivifiée par Vatican II, se vit dorénavant dans des synodes romains. Leurs actes demeurent inconnus du plus grand nombre, y compris chez les pratiquants. Il y a un mois à peine, l’Assemblée des évêques du Québec lançait un message intitulé : « Catholiques dans un Québec pluraliste ». Aucun média séculier ne l’a relayé.
Les positions conservatrices de Rome ont porté à conclure à l’échec du concile et la sécularisation en a estompé largement la mémoire. Il a pourtant changé de façon importante la vie de l’Église. Et jamais avant Vatican II n’aurait-on pu lire ce que dit le paragraphe introductif de Gaudium et Spes, la Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est vraiment humain qui ne se trouve écho dans leur cœur. […] La communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire. »
Cette affirmation compte parmi son héritage le plus novateur.
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Voici un résumé forcément incomplet des décisions du concile. Son œuvre tient en 16 documents, amendés dans la substance et dans le détail, votés paragraphe par paragraphe, et promulgués conjointement par le pape et les évêques. Parmi ces 16 documents se distinguent les quatre « constitutions » sur la liturgie, la constitution de l’Église, l’Église dans le monde de ce temps et la Révélation, c’est-à-dire sur les sources de la foi des chrétiens. Les décrets ou déclarations sur l’œcuménisme, les religions non chrétiennes et la liberté religieuse ont eu aussi un impact majeur.
Abolition de la suprématie du latin dans la liturgie, qui s’était imposé quasi dogmatiquement depuis l’Empire romain, au profit de l’usage habituel des langues vernaculaires.
Reconnaissance de la liberté religieuse de tous les hommes, liberté que l’Église réclamait jusque-là pour les catholiques là où ils étaient persécutés alors qu’elle condamnait, au nom de « la » vérité, les non-catholiques qui, forcément, vivaient dans l’erreur.
Invitation à tous les catholiques de participer dorénavant à l’effort d’unité des chrétiens dispersés.
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