Réfugiés «sexuels» - Groupe à part, groupe à risque

Dans leur pays d’origine, Jennifer, Zaki et Trudi, dont la singulière histoire de réfugiés issus de minorités sexuelles a été retracée dans le documentaire de l’Office national du film Une dernière chance, n’étaient pas victimes de méchants quolibets se moquant de leur identité sexuelle. Ils étaient en danger de mort. Plus de 80 pays dans le monde criminalisent encore les relations homosexuelles.
Citoyenneté et Immigration Canada ne collige aucune statistique en fonction des catégories de réfugiés (minorités sexuelles, politiques, religieux), mais des chercheurs particulièrement intéressés par ce groupe fuyant la persécution pour des raisons aussi intimes estiment à environ 560 le nombre de ces demandes entre 2009 et 2011, sur un total d’environ 25 000.
Ils et elles arrivent tout droit de nations démocratiques qui toutefois ne tolèrent pas la différence sexuelle. La Jamaïque, par exemple, d’où vient la Trudi du film, est l’un des pays qui rejettent le plus violemment, avec coups et blessures, les gais, lesbiennes, transgenres et bisexuels.
Le projet de loi C-31
Nicole LaViolette, professeure de droit à l’Université d’Ottawa et qui donne, depuis 1995, de la formation aux commissaires pour les outiller dans leur manière d’aborder ces questions de l’intime avec des demandeurs en audience, s’inquiète des impacts du projet de loi C-31 sur ces groupes. « La nouvelle philosophie du gouvernement est de privilégier par exemple la sélection des réfugiés, en allant les chercher dans les camps, explique-t-elle. Mais ces groupes-là ne vont pas dans les camps de réfugiés, précisément parce que, dans leur pays, ils ne pourraient pas y survivre, tant ils sont victimes, même au sein du camp, des préjugés et de la persécution. »
Pour d’autres juristes tels Sean Rehaag, professeur à l’Osgoode Hall Law School de l’Université York, les minorités sexuelles seront fragilisées par le truchement de la liste des pays d’origine désignés, réputés sûrs de manière générale, et de laquelle découleront des limites imposantes pour les demandeurs qui en proviendront.
« Ces demandeurs auront accès à une audience en très peu de temps [30 jours], ils n’auront pas accès au tribunal d’appel et ils pourront être expulsés du Canada alors même que la Cour fédérale n’aura pas encore statué sur le rejet de leur demande, explique le professeur. La recherche récente démontre pourtant que ces demandeurs sont souvent issus de pays où existe un faible taux de demandes. Leurs pays peuvent donc être “ sûrs ” pour une majorité de demandeurs, mais au contraire très dangereux pour les minorités sexuelles ou les femmes victimes de violence. On peut s’attendre à un taux de rejet plus important pour ces personnes, qu’on retournera vers la persécution. »
Perdre une réputation d’ouverture
Le Canada pourrait donc perdre une réputation d’ouverture envers les minorités sexuelles qu’il s’était solidement taillée dans le monde, et ce, depuis le début des années 1990. « Le Canada a été un leader pendant de nombreuses années à ce chapitre, poursuit M. Rehaag dans un entretien accordé par courriel. Les cours canadiennes ont été parmi les premières dans le monde à reconnaître cette forme de persécution comme un motif de demande d’asile. »
À Citoyenneté et Immigration Canada, on rétorque que le nouveau système n’inclut aucune modification visant ce groupe en particulier, comme l’explique André Baril, directeur, Affaires des réfugiés. « Ce volet n’a pas changé. Et la Commission de l’immigration du Canada reste l’un des organismes les plus équitables dans le monde pour ces groupes-là. Le principe de base est celui-ci : tout le monde aura droit à une audience, peu importe le pays d’origine. Dans ce contexte-là, on ne voit pas vraiment le biais que pourrait créer la réforme. »
Quant aux injustices que pourrait causer une liste de « pays sûrs », Ottawa assure que chaque cas sera évalué sur le fond. Mais advenant qu’un rejet soit porté en Cour fédérale pour révision judiciaire, la personne déboutée sera retournée dans son pays d’origine même si la décision est pendante, sans recours au sursis automatique comme jadis. On le fera revenir si d’aventure la décision est infirmée ? « Oui, il sera possible de faire revenir la personne », répond André Baril.