Prix Gérard-Morriset - Les lieux nous disent ce que nous sommes

Ce texte fait partie du cahier spécial Prix du Québec 2012
En 1992, Dinu Bumbaru était membre du jury qui a décerné le premier prix Gérard-Morriset. Vingt ans plus tard, c’est à lui que revient l’honneur.
Dubrovnik, 1992. Dinu Bumbaru marchait avec un collègue dans les rues de cette ville de la Croatie, à l’époque toujours au sein de la Yougoslavie. La guerre commençait et il y était dépêché par l’UNESCO afin de déterminer comment il serait possible d’y protéger le patrimoine. « On était dans une guerre culturicide, rappelle-t-il. Les églises et les minarets étaient détruits parce que c’étaient des symboles identitaires. Pas parce que c’étaient des positions d’artillerie. » Alors que les coups de canon retentissaient depuis les villages voisins, ils ont croisé un homme âgé à la mine triste et désemparée. Celui-ci les a remerciés, raconte-t-il. M. Bumbaru a réagi humblement, puis l’homme lui a répondu : « Si nous mourons, que notre peuple ne meure pas. »
« C’était très troublant comme rencontre, mais en même temps très inspirant, se souvient-il. Cela nous rappelle que ce ne sont pas que des pierres. Ce sont des pierres qui ont été placées par quelqu’un et qui résonnent dans la mémoire des gens et des usages. Même si elles sont très modestes, ces pierres parlent humain. »
Identité et culture
Une rencontre avec Dinu Bumbaru, c’est un éveil à la valeur profonde, identitaire et culturelle des objets, des lieux, des bâtiments et des paysages. L’oeil toujours pétillant, le passionné admet être un peu « verbomoteur », mais il multiplie les images jetant un éclairage juste sur la nécessité de prendre soin du patrimoine.
Son savoir et sa sensibilité, il les a transmis aux quatre coins du globe. Engagé activement dans le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), il voit, dans ces échanges avec le reste du monde, un lieu de solidarité et d’inspiration. Après Dubrovnik, il a effectué plusieurs autres missions à l’étranger. « La façon dont on s’occupe du patrimoine dans des situations de crise, c’est peut-être aussi un indice de civilisation », souligne-t-il.
Mais tout ça le ramène continuellement au local. À Montréal, dont le patrimoine mérite lui aussi d’être chéri, même s’il a été l’objet « de commentaires plutôt sévères » de la part de Gérard Morriset, souligne Dinu Bumbaru, qui se dit davantage issu de l’école de Melvin Charney.
Au sein d’Héritage Montréal, M. Bumbaru a d’ailleurs appelé les services d’incendie à être plus sensibles au patrimoine dans leurs interventions. Une prise de conscience qui semble tranquillement faire son chemin. « Les gens partent en vacances en Europe pour admirer les cathédrales, mais ils ne portent plus attention à la valeur de ce qui les entoure à leur retour, se désole M. Bumbaru. Le mont Royal, ça ne se déménage pas. Il faut s’en occuper. »
Né à Vancouver en 1961, il a emménagé dans la métropole québécoise dès l’âge de trois ans. Il a été élevé dans un immeuble à logements multiples qui l’a initié à cette « relation avec l’espace urbain ». Le 1er décembre 1982, fraîchement diplômé de l’École d’architecture de l’Université de Montréal, il est entré officiellement chez Héritage Montréal à une époque où la métropole ne possédait aucun plan d’urbanisme. Aujourd’hui, il est le directeur des politiques et une figure de proue de ce groupe de défense et de mise en valeur du patrimoine.
Tristes disparitions
Du patrimoine précieux, il en a vu disparaître en 30 ans de carrière. Entre autres choses, il regrette le sort tragique réservé à l’hôtel Queens, aux cheminées de la carrière Miron, au patrimoine industriel le long du canal de Lachine, ainsi que celui d’Expo 67. Mais ce qui l’ébranle le plus en ce moment, c’est la récente démolition des bâtiments du boulevard Saint-Laurent à l’intérieur de l’aire de protection du Monument-National. « C’est invraisemblable en 2012. J’ai l’impression que c’est le jour de la marmotte », dit-il en se désolant que la sécurité publique ait une fois de plus été invoquée pour justifier ce type de manoeuvre.
En contrepartie, il se montre fier, toujours sur un ton modeste, d’avoir contribué à la sauvegarde de la rue McGill College. « Je suis très heureux que ce soit maintenant une belle vue sur la montagne. » La protection du mont Royal constitue une autre bataille à laquelle il se dit satisfait d’avoir participé, tout comme celle pour la conservation du Théâtre Outremont. Il note aussi le succès de l’Opération patrimoine architecturale de Montréal (OPAM), dont il poursuit le pilotage avec la Ville de Montréal. Cet événement annuel propose des visites de quartier et encourage les propriétaires à entretenir le cachet patrimonial de leur résidence ou de leur commerce. « On oublie souvent que le coup de pinceau fait plus que le coup de maillet du juge », lance-t-il.
D’ailleurs, la mobilisation et la sensibilisation des citoyens demeurent au coeur de ses activités. « On m’a fait des propositions pour aller travailler à Rome dans toutes sortes d’organisations officielles très spécialisées. Mais, moi, je trouve formidable l’importance des associations. » Surtout à Montréal, souligne-t-il, où ce sont les regroupements, les communautés religieuses et les pétitions de citoyens, plutôt que les décideurs, qui ont été les pionniers dans la conservation du patrimoine au XIXe siècle.
«Écosystème architectural»
« Le grand défi aujourd’hui, c’est la res publica, insiste-il. On vit dans une ville qui est composée essentiellement de biens privés, mais qui forme un tout qui est d’intérêt collectif. Le défi, ce n’est pas de conserver ou de classer le parlement à Québec, c’est d’avoir des paysages, des villes, des quartiers qui constituent un écosystème architectural qui soit fascinant et qui porte non seulement la mémoire, mais aussi la culture et l’identité. »
La société civile devrait être conviée à une rencontre avec le ministre de la Culture, Maka Kotto, souhaite-t-il. La nouvelle loi sur le Patrimoine culturel, entrée en vigueur le 19 octobre dernier, ne doit pas être appliquée « seulement d’une manière technocratique » et constitue une belle occasion à ne pas manquer « pour susciter une grande alliance pour le patrimoine ».
Il soulève aussi l’idée de sensibiliser les plus jeunes. « Ce serait bien qu’on enseigne la géographie culturelle. Pas seulement l’histoire des personnages et des institutions, mais l’histoire des lieux », suggère-t-il, en ajoutant son grain de sel au débat entourant l’enseignement de l’histoire dans les écoles. « Je pense que si les gens étaient éveillés à ça dès leur jeune âge, leurs choix com-me citoyens seraient probablement plus éclairés. »
Collaborateur
Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.