Les femmes victimes de discrimination systémique en construction

Les femmes, qui représentent à peine 1,3 % de la main-d’oeuvre du secteur de la construction au Québec (2067 sur 159 166 travailleurs), « se butent » à la fois à « des préjugés tenaces de la part des employeurs » et à « une fermeture des syndicats à leur présence », souligne l’organisme de défense des droits des femmes en matière de travail dans un rapport dévoilé à la veille de la reprise des travaux à l’Assemblée nationale.
« On recule 60 ans dans le temps en termes de relations entre les hommes et les femmes [lorsqu’on met les pieds dans un chantier québécois]. La construction est un monde à part », explique l’auteure du rapport, Jennifer Beeman. « Personne n’assume ses responsabilités, ni les employeurs, ni les syndicats ni la Commission de la construction du Québec, qui n’a aucune aide à offrir aux travailleuses », dénonce-t-elle.
En plus de « déplorer l’existence d’une discrimination systémique », le rapport de 70 pages, intitulé Quand la détermination ne suffit pas, fait état de « cas de harcèlement psychologique et sexuel graves ».
« On est des bouche-trous, toujours pognées à faire les jobs de débutant », a notamment confié une charpentière-menuisière, l’une des 35 « travailleuses de métiers, occupations, régions et syndicats différents » interrogées par le CIAFT.
Une autre répondante a dit qu’une femme sur un chantier se fait « regarder comme un steak dans une assiette », alors qu’une consoeur a dit avoir « parfois l’impression que les travailleurs n’ont jamais vu de femmes et qu’ils sont parfois pires que des détenus ».
La « discrimination systémique » montrée du doigt par le CIAFT « risque de perpétuer le haut taux d’abandon des femmes » - celui-ci dépassant le seuil de 60 % après cinq ans - « à moins d’une intervention gouvernementale déterminée », avertit le CIAFT.
« Les travailleuses ne peuvent et ne doivent plus porter seules le fardeau de leur intégration. Il n’y a aucune raison qu’on laisse ce secteur névralgique [hors d’atteinte] de l’application des lois. Encore aujourd’hui, je suis ébranlée par ce que les travailleuses racontent », affirme Mme Beeman, appelant « chacun [à] prendre ses responsabilités ». La sociologue du travail exhorte le gouvernement, la CCQ, les employeurs et les syndicats à ne pas se réfugier dans « des projets ponctuels » pour « répondre à des problèmes structuraux graves ».
Le gouvernement doit notamment imposer une « obligation contractuelle » assurant un minimum de 4 % de travailleuses dans les chantiers publics. « On ne peut plus envoyer des femmes une à une sur des chantiers. Il faut envoyer des cohortes. Il faut que les femmes arrivent en gang sur les chantiers, parce qu’autrement elles sont tellement isolées que c’est facile de les éjecter. »
Le CIAFT propose également la mise sur pied d’une « structure de soutien indépendante » en cas de harcèlement, estimant que la CCQ a les mains liées par les représentants des syndicats pour agir efficacement.
La ministre du Travail, Agnès Maltais, qui est aussi ministre responsable de la Condition féminine « est très sensibilisée, mais elle fait face à un secteur qui a démontré une capacité de résistance absolument phénoménale. »