Point chaud - «L’aide médicale à mourir est une cause progressiste»

Le gouvernement Harper est « bien le dernier à vouloir se pencher » sur la question du suicide assisté, déclare Jean Mercier. « En grande partie en raison de sa base électorale », qui a ses racines en Alberta, endroit où, au Canada, le soutien pour une évolution du droit canadien en ce domaine, quoique majoritaire, est le plus faible. C’est au Québec que l’appui est le plus élevé.
Nulle surprise, donc, pour le politologue de l’Université Laval, que le ministre fédéral de la Justice Rob Nicholson ait annoncé vendredi dernier qu’il interjetterait appel de la décision de la juge Lynne Smith, de Colombie-Britannique, d’ouvrir la porte à cette pratique. En fait, dans un jugement rendu le 19 juin, elle accordait une « exemption constitutionnelle » d’un an au médecin de la patiente Gloria Taylor, atteinte de la maladie neurodégénérative de Lou Gehrig (sclérose latérale amyotrophique) pour lui éviter les foudres de l’article 241 b du Code criminel : « Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque, selon le cas : conseille à une personne de se donner la mort ; aide ou encourage quelqu’un à se donner la mort, que le suicide s’ensuive ou non. »
La Charte contre le Code
De plus, la juge Smith accordait un an au gouvernement fédéral pour réécrire cet article du code, qu’elle juge inconstitutionnel. Pour le gouvernement Harper, dans sa version actuelle, l’article est conforme à la Charte des droits. Ce n’est pas l’analyse qu’en font les groupes qui réclament une ouverture au suicide assisté, ou plutôt, selon la formule popularisée par la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité, « l’aide médicale à mourir », rappelle Jean Mercier. Le fameux article du Code criminel enfreindrait deux droits fondamentaux reconnus par la charte fédérale de 1982. D’abord l’article 15, lequel « garantit le droit à l’égalité », ce qui impliquerait selon eux que les citoyens canadiens, qu’ils soient bien portants ou malades, aient tous « la même possibilité de mettre fin à leurs jours ». La juge Smith a accepté cette argumentation, ainsi que celle selon laquelle 241 b enfreint l’article 7 sur le droit à la vie et la liberté. Sachant qu’il sera impossible, en vertu de 241 b, d’obtenir de l’aide pour mettre fin à ses jours lorsque sa condition se sera trop dégradée, un malade peut en quelque sorte être incité, dans l’état du droit actuel, à se suicider lui-même lorsqu’il est encore en mesure de le faire.
Le débat actuel rappelle fortement « l’affaire Sue Rodriguez », fait remarquer Jean Mercier. En 1993, Mme Rodriguez, elle aussi atteinte de la SLA, avait réclamé d’être assistée dans la mort. « À l’époque, la Cour suprême avait rejeté la demande de Mme Rodriguez, mais elle était fortement divisée : 5 contre 4. » Et dans la minorité, on retrouvait non seulement le juge en chef de l’époque, Antonio Lamer, mais la juge en chef actuelle, Beverley McLachlin. Le premier avait développé son argumentation autour de l’article 15 de la charte, alors que la seconde l’avait axée sur l’article 7.
Une cause « progressiste »
En 2012, face au jugement en Colombie-Britannique, un « autre gouvernement que celui de Stephen Harper aurait peut-être saisi l’occasion de dire : “Oui, effectivement, il faudrait faire un ménage sur cette question, il faudrait progresser” », opine Jean Mercier. Il insiste d’ailleurs pour dire que la cause de l’« aide médicale à mourir » est « progressiste ».
Le politologue garde espoir que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (qui entendra dans un premier temps l’appel interjeté Ottawa), puis, un jour, la Cour suprême fassent leur, au moins en partie, le jugement de Lynne Taylor. « Ça fait, quoi, 19 ans que le jugement dans la cause de Sue Rodriguez a été rendu ? On peut penser que les cours ont évolué. » Les tribunaux souhaiteront peut-être faire évoluer le droit afin de refléter l’évolution de la société canadienne et québécoise, mais aussi les expériences en matière d’aide médicale à mourir, croit M. Mercier. Le fait que la juge en chef McLachlin a été dissidente en 1993 « est aussi un signe d’espoir » ; quoique des juges plus conservateurs sur ces questions aient été nommés par les gouvernements Harper depuis 2006. Le cas d’une autre femme atteinte de SLA réclamant une aide médicale à mourir, Ginette Leblanc, de Trois-Rivières, actuellement en Cour supérieure, pourrait aussi rapidement se retrouver devant la Cour suprême et forcer le plus haut tribunal à faire évoluer le droit.
Pas de dérapage
Quant à Jean Mercier, ce printemps, il s’est rendu en Belgique, aux Pays-Bas et en Suisse afin d’étudier l’effet d’une décennie de pratique du suicide assisté. Des cas de dérapage où des personnes âgées auraient été incitées à se suicider, il n’en a pas trouvé. Ainsi, les scénarios catastrophes des militants, souvent religieux ne se sont pas concrétisés. Bref, l’ancien candidat à l’investiture républicaine aux États-Unis, Rick Santorum, devrait se rassurer, lui qui a soutenu qu’aux Pays-Bas, « des milliers de vieilles dames se réfugiaient chaque année en Allemagne pour ne pas être euthanasiées contre leur volonté » !
Professeur spécialisé en administration publique, Jean Mercier s’intéresse depuis 1993 à la question du suicide assisté, mais c’est récemment qu’il en a fait son objet de recherche principal. Un objet de combat, aussi, puisqu’il milite dans l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité. C’est un article du fils du comédien Doris Lussier, à la mort de ce dernier, qui a éveillé son intérêt pour la question. « Il demandait pardon à son père de ne pas avoir respecté ses dernières volontés, qui étaient justement “pas d’acharnement”. Ça m’avait marqué. Mes parents aussi ne sont pas morts dans des circonstances idéales. »
Jean Mercier a la conviction que le développement de la science médicale moderne allonge certes la vie, mais au point qu’« il faut se poser des questions sur la qualité de la vie ainsi prolongée et sur les souffrances physiques et morales qu’elle peut occasionner ». Pour lui, la souffrance humaine est « un signal qu’il faut écouter et prendre au sérieux, et personne, dans une société humaine et développée, ne devrait souffrir de malaises importants quand il est clair par des demandes répétées qu’il ou elle ne veut plus continuer à vivre dans des conditions difficiles ».