Conseil du statut de la femme - «Très peu de jeunes se disent féministes»

Hélène Roulot-Ganzmann Collaboration spéciale
Julie Miville-Dechêne est à la présidence du Conseil du statut de la femme depuis six mois.
Photo: Source Normand Blouin CSN Julie Miville-Dechêne est à la présidence du Conseil du statut de la femme depuis six mois.

Ce texte fait partie du cahier spécial Journée des femmes 2012

Arrivée il y a six mois à la présidence du Conseil du statut de la femme, Julie Miville-Dechêne a commencé par faire une tournée du Québec pour prendre le pouls de la population, se mettre à l'écoute des femmes dans toute leur diversité et entendre leurs opinions, besoins et priorités.

Julie Miville-Dechêne mesure aujourd'hui toute l'ampleur des défis qui l'attendent, notamment envers les immigrantes et la jeune génération, persuadée que l'égalité hommes-femmes est faite et pour laquelle le mot même de «féminisme» a une connotation péjorative.

Après six mois à la tête du Conseil du statut de la femme, quel constat dressez-vous?


Plus particulièrement avec les jeunes filles, mais avec toute la population en général également, il y a une déconnexion assez inquiétante entre le mouvement des femmes et le simple citoyen. Peu de gens se reconnaissent dans le discours féministe. Très peu de jeunes se disent féministes. C'est un mot qui est devenu chargé d'un sens négatif. Il fait référence à une espèce de guerre des sexes, alors même que, en réalité, il ne décrit que la recherche de l'égalité entre les hommes et les femmes. Ça nous oblige à faire un examen de conscience sur la façon dont on passe nos messages en 2012, par rapport à un vocabulaire qui a été élaboré tout au long d'une longue lutte qui a été nécessaire et qui a apporté beaucoup de choses à l'évolution de la condition des femmes au Québec.

C'est un discours que vous entendez de la part des hommes et des femmes?

Oui... mais chez les femmes aussi! Elles ont plus tendance à se dire humanistes et à mettre plusieurs enjeux d'inégalités sur le même pied, à ne pas faire de hiérarchie entre le racisme, l'homophobie, les problèmes d'inégalités entre les sexes, etc. En fait, avant d'avoir des enfants, quand on est à l'université et qu'on n'est pas encore entré sur le marché du travail, on ne perçoit pas les problèmes de discrimination systémique liés au fait d'être une femme. On vit dans une société multiethnique, aussi les questions d'injustice sociale et de racisme sont beaucoup plus évidentes que de dire que les femmes n'ont pas encore atteint les mêmes niveaux de pouvoir.

Notre défi, au Conseil du statut de la femme, c'est de réussir à aller chercher ces jeunes femmes pour leur dire: «Oui, il y a encore des inégalités, oui, il y a encore des choses sur lesquelles il faut travailler, oui, nous vivons dans une société qui prône l'égalité, mais ces victoires sont récentes et il faut rester très vigilantes pour ne pas que nos acquis puissent être remis en cause.»

La prise de conscience vient donc avec le premier enfant...


Pour une grande part, oui. C'est là qu'elles se rendent compte que, même si l'homme en fait de plus en plus à la maison, c'est encore, en grande partie, elles qui s'occupent des enfants, elles qui prennent le congé parental, surtout si leur conjoint n'a pas un poste dans la fonction publique ou n'est pas syndiqué, et elles en mesurent les conséquences quant à l'avancement de leur carrière, etc. Il faut donc que nous allions chercher des sujets qui attirent ces femmes-là, et le premier d'entre eux, c'est la conciliation travail-famille. On a, sur cette question, des jeunes femmes qui sont ouvertes à cela parce que ça touche leur vie très personnelle. Ce sont les enjeux féministes qui ont un impact direct sur la vie de ces jeunes femmes qui sont pour elles intéressants. On vit dans une société beaucoup plus individualiste et ç'a un effet sur les prochaines batailles que nous devrons mener.

Pour toucher les jeunes, il faut également aller sur leur propre terrain, les médias sociaux notamment...

Le Conseil a commencé à les utiliser: nous avons un webzine, nous sommes dans Facebook, je blogue, je twitte... Nous avons besoin de ces outils pour rejoindre les plus jeunes. Mais aussi trouver les sujets qui les préoccupent, les premiers d'entre eux étant l'image corporelle, la perception du corps et l'hypersexualisation. Dans deux régions du Québec, il y a de gros projets sur cette question par le biais de concours de vidéoclips. Ce sont des méthodes innovantes pour aller chercher l'intérêt des jeunes, leur montrer que non, l'égalité n'est pas atteinte, dans la mesure où, si les femmes sentent le besoin de s'habiller de telle ou telle façon pour être attirantes, ça peut, pas toujours, mais ça peut avoir un impact sur le type de relations qu'elles ont avec les jeunes hommes. Et ça nous permet ensuite d'aller vers des problèmes encore plus fondamentaux: je regardais les statistiques de violence conjugale. En 2009, 82 % des victimes sont des femmes, mais aussi quatre victimes sur dix sont âgées de 18 à 29 ans...

Que vous répondent les jeunes femmes à qui vous montrez ces statistiques?

Que oui, des inégalités existent encore, mais que ça ne les touche pas, elles, surtout lorsqu'elles ont un bagage universitaire. Or il y a une étude très intéressante qui porte sur des jeunes qui sortent de MBA. Elle démontre que, dès l'entretien d'embauche, le salaire proposé est plus faible pour une femme que pour un homme et que très vite la moitié moins de filles se retrouvent à un poste de direction. Autre chose, dans les comités de sélection, les hommes sont généralement jugés selon leur potentiel, et les femmes, selon leur expérience antérieure... Il y a encore bien deux poids, deux mesures, même chez les jeunes diplômés!

Alors, comment faire renouer les jeunes femmes avec le féminisme?


Nous nous sommes rendu compte que ce qui fonctionne bien, c'est de passer par l'histoire du mouvement. Quand elles prennent conscience que nos acquis sont récents, que le droit de vote des femmes date de 1941, que c'est seulement en 1978 qu'elles ont obtenu un congé de maternité et qu'avant cela elles pouvaient perdre leur emploi parce qu'elles tombaient enceinte, etc. Quand on leur explique ça, ça les frappe parce que c'est tellement impossible à imaginer en 2012. Et tout d'un coup elles se disent: «Oh mon Dieu, les choses ont déjà été différentes!»

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Collaboratrice du Devoir

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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