Nourrir le Québec - Un jour, en cadeau, une véritable politique bioalimentaire?

Réginald Harvey Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Noël responsable

Il y a quelques mois, le ministère de l'Agriculture, des Pêches et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ) a annoncé les couleurs de son Livre vert (Donner le goût du Québec) conçu en fonction de l'élaboration d'une politique bioalimentaire québécoise. À propos de ce long chemin semé d'embûches, du Livre vert à la réalité.

Le secteur bioalimentaire fournit un important apport au développement économique en procurant de l'emploi à plus de 120 000 travailleurs dans la production et la transformation, pendant que plus de 350 000 autres occupent des postes dans le commerce de l'alimentation et dans la restauration.

Examiné sous toutes ses coutures, soit sous les angles des intrants (semenciers, fournisseurs d'engrais, équipementiers, etc.), de la production et de la transformation, ce champ d'activité possède un très vaste spectre susceptible de compliquer la tâche des intervenants qui tentent de parvenir à un consensus raisonnable autour d'une politique rassembleuse: il y a notamment ceux qui envisagent la question sous un aspect plus économique et mondialiste, et les autres qui adoptent un point de vue plus local et régional.

Tant et si bien que Michel Morisset, professeur titulaire au Département d'économie agroalimentaire de l'Université Laval, se prononce de cette façon sur la mise en oeuvre d'une telle politique: «Un des enjeux principaux, ce qui est encore plus vrai dans le bioalimentaire en raison du type de clientèle, en est un d'adhésion et de mobilisation des acteurs; si vous ne réussissez pas à les interpeller à partir de leur réalité, au bout du compte vous obtiendrez un autre bout de papier comme on en a produit des dizaines et des dizaines au cours des dernières décennies.» Une pareille observation prend tout son sens dans un milieu agricole québécois particulièrement organisé et militant.

Place à l'économie

Il importe, à son avis, de considérer de tout son poids le facteur économique: «Cette politique doit être de cet ordre. Au cours des dix dernières années, on a eu tendance à reléguer au second plan cet aspect; le secteur agricole et bioalimentaire est devenu un levier fondamental du développement régional, de l'amélioration de la santé de la population et de la défense de l'environnement, ce qui n'est pas à négliger, mais il faut que cela soit axé autour de ce qui est principal. Au Québec, comme dans la grande majorité des pays occidentaux, on demande à ce secteur-là de s'organiser pour produire des aliments, dans le plus grand respect de l'environnement et des exigences de la société, à un prix auquel on va pouvoir les vendre en rentabilisant les entreprises et en étant capable de concurrencer ceux qui sont autant intéressés à venir sur nos marchés que nous le sommes à nous diriger vers les leurs.»

La grande priorité est d'ordre économique et elle est soumise à deux séries de contraintes: «Sur le plan écologique, il ne faut pas refaire les erreurs commises dans le passé et on se doit d'être extrêmement attentif. D'un autre côté, il y a les exigences, parfois un peu floues, qu'expriment la société québécoise et également les sociétés où on vend nos produits. La salubrité des aliments en est une.»

Le professeur signale encore que la mise en place d'une politique ne repose pas que sur le volet agricole, mais qu'elle exige un arrimage étroit entre les trois maillons de l'ensemble bioalimentaire qui en forment le coeur et qui comprennent les intrants, la production et la transformation/surtransformation. Cela dit, il ne considère pas que le Livre vert s'inscrit dans le sillage du controversé et tabletté rapport Pronovost qui l'a précédé.

Dans l'attente d'une politique...

Le chapitre du Livre vert intitulé Une vision d'avenir renferme entre autres trois grandes orientations: la distinction de nos produits alimentaires, le renforcement de notre capacité concurrentielle et la valorisation de l'environnement et du territoire québécois. Au terme de son analyse, Michel Morisset croit-il possible que les Québécois reçoivent un jour en cadeau une véritable politique bioalimentaire exhaustive et consensuelle? «On a l'impression que c'est difficile. Lors d'une récente conférence basée sur un livre que j'ai écrit l'an dernier, sur le syndicalisme et la politique agricole, et qui comporte quatre chapitres, je disais à mon auditoire que, si j'avais à en rédiger un cinquième se situant à partir des années 2005-2006, je l'appellerais L'ère de la confusion.»

Sans préciser davantage les raisons qui justifient une telle tête de chapitre, il pose cette réserve sur l'adoption imminente d'une politique: «Je dirai un peu cyniquement que, en 2011, par rapport au gouvernement qui est en place, il est un peu tard; elle ne verra pas le jour avant qu'on n'ait des élections, car il est rare qu'un gouvernement puisse mettre en place une pièce aussi majeure et assurer son suivi en fin de mandat.»

Sur un autre plan, il fait valoir ce point de vue: «Le Livre vert actuel est plus proche des intérêts de ce que j'ai qualifié tout à l'heure comme le coeur du secteur, qui est plus interpellé que dans le rapport Pronovost, lequel a été rejeté non seulement par l'Union des producteurs agricoles (UPA), mais aussi par l'ensemble des grandes organisations; il n'a été applaudi que par quelques regroupements que je considère être, objectivement je l'espère, plus à la marge du dossier.»

Il pose ce bémol sur des positions ayant cours dans certains milieux: «Si on veut faire de cette politique un instrument du développement régional, on fait fausse route. Ce fut une erreur de vouloir, dans le rapport Pronovost, que la politique ne soit pas qu'agroalimentaire, mais qu'elle recouvre toutes les dimensions de la problématique aussi bien régionale et écologique que de la santé publique. Il faut tenir compte de la question régionale, sans mettre sur le dos de l'agriculture et de l'agroalimentaire le sauvetage et le développement des régions du Québec; l'agriculture représente 1 % de l'économie québécoise et des régions.»

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Collaborateur du Devoir

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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