Paysage - Que sera ce Québec laissé en héritage?

Ce texte fait partie du cahier spécial Noël responsable
Les prochaines années seront déterminantes pour les paysages ruraux du Québec. Une multitude de lois en révision les touchent directement et plusieurs grands projets menacent de les défigurer.
Le terme de «paysage», peu présent dans les textes législatifs, a été inséré et adopté le 19 octobre dernier dans la nouvelle Loi sur le patrimoine culturel. «C'est une bonne nouvelle, reconnaît Gérald Domon, directeur scientifique associé à la Chaire UNESCO en paysage et environnement, avant de laisser échapper un rire narquois et d'ajouter: «Dans la mesure où il y a des suites.»Car, comme le rappelle le professeur titulaire à la Faculté de l'aménagement de l'Université de Montréal, «il y a déjà une loi qui a enchâssé le paysage, il y a presque dix ans. On en cherche toujours les traces», s'esclaffe-t-il avec ironie. Le chercheur fait ainsi allusion au statut de paysage humanisé, élaboré dans la Loi sur la conservation du patrimoine naturel en 2002. Cette disposition prévoyait une reconnaissance pour la protection des territoires habités où la préservation de l'environnement, l'épanouissement social et la poursuite du développement économique demeuraient bien harmonisés. Or, en 2011, aucun endroit n'a encore été désigné comme paysage humanisé.
Devant cette apparition de la notion de paysage dans la Loi sur le patrimoine culturel, la réaction de Claire Bolduc, présidente de Solidarité rurale, fait écho à celle de M. Domon. «C'est une victoire, dans le sens où on en parle. Mais si ça reste cantonné dans ce ministère, ce n'est pas un gain», dit-elle.
À la croisée des lois
Car le paysage touche à tout, dont de nombreuses lois actuellement à l'étude ou à la veille de l'être. Chacune d'elle semble par contre mise au point en silo, même si elles auront toutes un impact direct sur le décor rural et régional du Québec, que ce soit la Loi sur l'aménagement durable du territoire forestier, la Loi sur l'aménagement durable du territoire et de l'urbanisme (LADTU) ou la Loi sur les mines. Cette dernière préoccupe grandement Claire Bolduc, aussi résidante de l'Abitibi-Témiscamingue. «On a un projet de loi qui va permettre aux municipalités de protéger le noyau villageois ou urbanisé de l'exploration minière, mais la loi donne encore préséance à l'activité minière à peu près partout sur le territoire.» Bref, pas d'expropriation en vue, mais le décor traversé par les habitants demeure en proie à la défiguration.
En Estrie aussi, des municipalités ont été approchées dernièrement par des entreprises minières, admet Jean-Louis Blanchette, administrateur de Paysages estriens. Si cette région de l'est du Québec fut une plaque tournante de l'industrie minière à une autre époque, aujourd'hui «les gens viennent en Estrie, d'abord et avant tout, pour les paysages. La journée où la vocation de nos paysages est remise en question, parce qu'il y a du développement minier ou autre, ce sont des retombées économiques» qui sont en jeu, considère M. Blanchette. À son avis, «le paysage, c'est économique». Pour séduire les touristes, bien sûr, mais aussi les habitants, les citoyens.
En plus de la ruée minière, une multitude de grands projets hydroélectriques, gaziers et éoliens se préparent au Québec. «Tout dépend de comment ce sera mené», indique Gérald Domon, dont les travaux concluent que le territoire québécois «a toujours été essentiellement considéré comme un territoire-ressources». Si cette vision persiste «et qu'on ne s'inspire pas du cadre que privilégie la multifonctionnalité, il y a lieu d'être inquiet», approuve M. Domon.
Multifonctionnalité des territoires ruraux
À ce sujet, un rapport a été déposé l'été dernier par le Groupe de travail sur la multifonctionnalité des territoires ruraux, dont sont membres Solidarité rurale et Gérald Domon. Selon Claire Bolduc, les recommandations présentées constitueront sans doute «une source d'inspiration majeure pour la LADTU». Ce qu'espère Gérald Domon à la suite de ce rapport, «ce ne sont pas des mesures très concrètes, mais c'est de contribuer à modifier notre regard», soit cesser de considérer le territoire sous un angle unique, comme le font les projets de loi en chantier séparément.
Pour résumer, la multifonctionnalité des territoires ruraux consiste à regarder plus loin que la simple valeur agricole, industrielle ou résidentielle d'un endroit. D'autres fonctions sont prises en compte, dont le paysage. Il s'agit d'un développement local durable, dans lequel cohabitent les usages social, culturel, économique et écologique du territoire, entre autres par une diversification des activités. «Oui, c'est un espace de production de biens et services, mais d'abord et avant tout un milieu de vie», insiste Claire Bolduc.
Mobilisation
Si, en Europe, des lois contrôlent davantage l'aménagement des paysages, le Québec se démarque par sa mobilisation citoyenne. Gérald Domon, en France pour donner une conférence sur le paysage au moment de son entretien téléphonique avec Le Devoir, remarque que, de l'autre côté de l'Atlantique, «ils sont bien impressionnés par l'effervescence qu'il y a du côté des individus, des associations, des municipalités au Québec. Ça bouge beaucoup.»
Paysages estriens, pour pallier l'absence d'outil, a réuni des urbanistes, des agronomes et des architectes paysagistes pour concevoir le guide Paysage du Québec: manuel de bonne pratique. Publié en 2010, cet ouvrage, qui se veut «simple» et «convivial», s'adresse aux néophytes confrontés à cette réalité. Quelque 900 exemplaires ont été distribués gratuitement aux municipalités et aux MRC. Une quinzaine de fiches vulgarisent des enjeux comme l'éclairage et les tours de télécommunication. «Ce ne sont pas des recettes magiques. Ce sont plus des balises de développement et des pistes de réflexion», explique Jean-Louis Blanchette, aussi instigateur de l'Alliance pour la valorisation des paysages du Québec.
Gérald Domon souligne qu'on ne doit pas prendre soin de nos paysages seulement dans une optique de «conservation». La sensibilité pour les villages pittoresques des régions de l'Estrie, de Charlevoix ou de la Gaspésie est déjà bien aiguisée. Par contre, «il y a tout le reste du territoire québécois qui est souvent totalement occulté, négligé. Nous, on travaille beaucoup sur les territoires d'intensification agricole, les basses terres du Saint-Laurent. Il y a là beaucoup de choses à inventer, à créer, à développer. Je pense qu'une des choses auxquelles il faudrait penser, c'est non seulement de protéger un patrimoine, mais c'est aussi d'en créer un.»
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