Bons pauvres, mauvais pauvres

Selon l'organisateur communautaire Marc De Koninck, certaines réactions négatives suscitées par le mouvement des indignés seraient à l'image de l'affaiblissement de la lutte contre la pauvreté au Québec
Québec — Le président du comité de développement social du bureau de Centraide de Québec, Marc De Koninck, est convaincu que l'image négative des pauvres et en particulier des assistés sociaux freine les efforts de lutte contre la pauvreté. Un document de réflexion lancé cette semaine aborde le problème de front.En entrevue, M. De Koninck souligne à quel point les réactions au mouvement des indignés l'ont frappé. Certes, il y avait de la «naïveté» et une certaine «gaucherie» chez les occupants, mais beaucoup de gens réagissaient vis-à-vis d'eux comme s'ils leur avaient «enlevé quelque chose», note l'organisateur communautaire.
«Il y a un monsieur qui a écrit une lettre dans le journal pour dire qu'il avait hâte de profiter de Noël dans le quartier Saint-Roch avec son enfant, mais qu'il ne pouvait pas le faire tant que les indignés étaient là. Voyons donc!»
Intitulé Un préjugé, c'est coller une étiquette, le document de réflexion de Centraide souligne que de nos jours, «le travail est perçu comme l'instrument de mesure privilégié du mérite et de la réussite personnelle». Or pendant qu'ils occupaient, les indignés ne travaillaient pas, justement.
La sortie de Centraide n'a pas manqué de susciter des réactions. «Il y a quelqu'un qui m'a demandé pourquoi ça ne me choquait pas que des gens sans travail soient allés camper avec les indignés alors que cette journée-là, ils auraient pu aller porter un C.V.».
La question, dit-il, témoigne bien de la «pensée magique» qui fait croire que c'est facile pour les assistés sociaux de se remettre au travail. «Il y a beaucoup de mythes à défaire. Comme cette mentalité très forte du "Quand on veut, on peut". C'est pas juste une question de vouloir. Quand on travaille avec des personnes en situation de pauvreté, on se rend compte que la somme des défis au quotidien pour eux est tellement importante...
«Si on n'est pas capable de répondre aux besoins essentiels de ses enfants au quotidien, comment on se mobilise avec succès dans une recherche d'emploi?», lance cet organisateur communautaire qui travaille depuis 26 ans en milieux défavorisés.
«Quand elle était ministre de la Solidarité sociale, Michelle Courchesne a déjà dit que c'était une minorité de gens sur l'aide sociale sans contrainte à l'emploi qui était capable de réintégrer le marché du travail sans un accompagnement significatif.»
Or la société tient un double discours: «On leur demande de se mobiliser, de se prendre en main et en même temps, on leur coupe l'herbe sous le pied en les traitant d'incompétents et en attaquant leur estime d'eux-mêmes.»
Ces perceptions négatives ne sont pas nouvelles, convient-il, mais elles lui semblent plus marquées par le courant actuel «d'individualisme» et seraient plus «virulentes» qu'auparavant.
Pour illustrer la force des préjugés, M. De Koninck, comme beaucoup de ses collègues, aime bien citer la chanson Les pauvres de Plume Latraverse. «Les pauvres ont pas d'argent, les pauvres sont malades tout l'temps / Les pauvres sont su'l' Bien-être, les pauvres r'gardent par la f'nêtre / Les pauvres ont du vieux linge sale, les pauvres, ça s'habille ben mal / Y sentent la pauvreté, c'en est une vraie calamité. Les pauvres... Mais y ont tous la T.V. couleur»
Tout est dans la dernière ligne. Le document de réflexion de Centraide souligne à ce propos la tendance que nous avons parfois à juger ceux à qui l'on donne.
«Les pauvres n'ont pas droit au plaisir, au beau, au divertissement. C'est presque à cette condition, semble-t-il, que l'on accepte de leur fournir une aide pécuniaire, peut-on lire. Du moment que nous payons, il semble que nous achetons du même coup le droit de juger l'autre, sans égard à ses besoins réels, et peut-être même de nous attendre à ce qu'il soit moins heureux que nous.»
D'emblée, déplore M. De Koninck, deux catégories s'imposent dans la pensée collective: le bon pauvre et le mauvais pauvre.
«Si les travailleurs de White Birch [une papetière de Québec menacée de fermeture] perdent leur emploi, les gens vont être pleins de sympathie pour les travailleurs qui risquent de se retrouver sur l'aide sociale, alors que quelqu'un qui est sur l'aide sociale depuis 30 ans et dont les parents étaient sur l'aide sociale...»
Pourtant assure-t-il, la plupart veulent s'en sortir. «Moi, ça fait 26 ans que je travaille en milieux défavorisés et il y a des centaines de groupes communautaires qui font la même chose. La description qu'on fait des pauvres à travers les préjugés, elle ne colle pas à la réalité! Les gens disent: "Moi j'ai pas de préjugés, mais j'en connais, des pauvres, qui fraudent le système." C'est sûr! Dans toutes les sphères de la société, il y en a qui profitent du système!»
Dans la population, M. De Koninck sent moins de sensibilité à la question de la pauvreté qu'à celles de l'environnement ou de la lutte contre le cancer, par exemple.
«La flamme n'est pas là.»
Alors qu'au début des années 2000, le Collectif pour l'élimination de la pauvreté avait réussi à rallier l'Assemblée nationale à un objectif ambitieux, M. De Koninck constate aujourd'hui de la «timidité» dans notre regard sur les solutions. On s'en tient, dit-il, «aux bonnes vieilles recettes, comme aider les gens à se retrouver un emploi».
Pourquoi? Le rapport fournit des pistes. «Quand ton voisin est en difficulté, si tu n'as pas vraiment d'estime pour lui, as-tu envie de l'aider?»
D'emblée, dans l'hostilité envers les assistés sociaux, il se demande s'il n'y aurait pas d'abord «la peur», le «besoin de marquer qu'on est différent d'eux». Bref, un sentiment opposé à celui de l'empathie.
Lorsqu'on lui fait remarquer que les gens sont quand même généreux et que la guignolée a eu cette semaine un bon succès, il rétorque que les résultats sont heureux, mais qu'il faut les prendre pour ce qu'ils sont.
«Ce n'est pas par nos dons qu'on va changer quelque chose de fondamental à la pauvreté. [...] Là où c'est inquiétant, c'est si on construit autour de cette image qu'on est vraiment une société solidaire qui se serre les coudes pendant les moments difficiles. Les moments difficiles, c'est 12 mois par an.»