Secteur culturel - Frédéric Back est aussi un homme qui plante des arbres

Etienne Plamondon Emond Collaboration spéciale
Aujourd’hui, Frédéric Back a quelque peu rangé ses crayons et ses pinceaux pour dédier ses mains au service de son épouse, paralysée depuis près de cinq ans.
Photo: - Le Devoir Aujourd’hui, Frédéric Back a quelque peu rangé ses crayons et ses pinceaux pour dédier ses mains au service de son épouse, paralysée depuis près de cinq ans.

Ce texte fait partie du cahier spécial Grands Montréalais 2011

Frédéric Back a été nommé Grand Montréalais du secteur culturel par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Le cinéaste d'animation, à la filmographie généreuse, engagée et universelle qui compte les chefs-d'œuvre Crac!, L'homme qui plantait des arbres et Le fleuve aux grandes eaux, a accueilli Le Devoir, pour l'occasion, dans son appartement du quartier Côte-des-Neiges.

Au centre d'une table bondée de papiers, de crayons et de pinceaux trône le dessin d'un chêne vert aux teintes chatoyantes et aux traits fins, sensibles, poétiques. Frédéric Back, la tête penchée sur son illustration inachevée, lâche, en artiste éternellement insatisfait de lui-même: «Ce n'est pas très beau.» Cette image, il la réalise pour la donner en cadeau à un Québécois d'origine japonaise qui, à l'âge de sept ans, avait planté des arbres en sa compagnie et qui, le 2 juillet dernier, fut son interprète lors de l'inauguration de l'exposition qui lui était dédiée au Musée d'art contemporain de Tokyo.

Cette rétrospective, qui poursuivra son chemin à Sapporo au printemps et à Hiroshima l'année prochaine, l'occupait à tel point que, lorsqu'on l'a nommé Grand Montréalais, il assure ne pas avoir eu «le bon réflexe».

«Je regrette un peu d'avoir accepté. Il y a d'autres gens qui sont souvent dans des situations où leur travail n'est pas mis en lumière et n'est pas valorisé», dit celui qui refuse dorénavant les mentions. «Et puis, j'en ai eu une grosse tartine de prix», rappelle-t-il. Quelques trophées trônent sur les étagères au fond de la pièce, mais la plupart sont entreposés à Radio-Canada, faute d'espace.

Les murs sont plutôt tapissés de reproductions de ses peintures contemplatives colorées qui brossent des paysages bucoliques. «J'ai été comblé de pouvoir m'exprimer librement, de pouvoir faire des films qui voyagent autour de la planète. Il y a des millions d'arbres qui sont plantés chaque année grâce à L'homme qui plantait des arbres. Des gens ont trouvé leur vocation, un but dans la vie, en regardant ces films ou ces dessins. Ça vaut bien plus que des prix», exprime-t-il de son timbre posé et délicat.

Lui-même, il a planté des milliers d'arbres. «Je ne voulais pas simplement être un théoricien», répète-t-il. L'artiste et l'écologiste demeurent indissociables. Dès son enfance, en Alsace, il est «ému par la souffrance, les guerres, le mal qu'on fait aux animaux», en croquant de ses crayons la pollution des cours d'eau et la cruauté envers les chevaux. «Il faut réagir. J'ai fait ce que j'ai pu, mais je n'ai certainement pas fait assez», dit-il en riant humblement.

«Hors de combat» mais «pas endormi»

L'homme de 87 ans, la voix berçante, se dit «rendu au bout du rouleau physiquement». Il a quelque peu rangé ses crayons et ses pinceaux pour dédier ses mains au service de son épouse, Ghylaine Paquin, paralysée depuis près de cinq ans. C'est avec cette Québécoise qu'il avait entrepris une correspondance, depuis la France, pendant plus de deux ans, lorsqu'il était jeune et curieux de découvrir les paysages sauvages du nord de l'Amérique. Débarquant à Montréal en 1948, il alla à la rencontre de cette femme, puis s'empressa de la demander en mariage trois jours plus tard. Ce qui se concrétisa l'année suivante, et il s'installa alors ici pour de bon.

«J'essaie de lui rendre un peu ce qu'elle m'a donné pendant toute sa vie», souffle-t-il. Après un bref silence, il poursuit: «Ma raison de vivre, c'est surtout de l'accompagner le plus longtemps possible. C'est important de la soutenir, pour le moral et pour donner un sens à cette vie qui est un peu l'antichambre de la mort.»

Dans la lutte écologique qui l'a toujours animé, il se dit aujourd'hui «un peu hors de combat», mais il avertit qu'il n'est «pas endormi» pour autant, comme en témoigne ce croquis esquissé en prévision de l'exposition de Tokyo: deux schémas présentant le potentiel, pour le Japon, de l'exploitation des moulins à marée et des systèmes de géothermie en ce pays de terre volcanique. Une réponse au désastre nucléaire de Fukushima, dont la cicatrice demeure vive. Ces illustrations ont été publiées à l'intérieur du catalogue de l'exposition, à la grande joie de son auteur, qui espère que l'idée fera son chemin. «Je trouve ça extrêmement malheureux que la finance ait pris autant d'importance à un moment crucial où justement tous les efforts devraient être déployés pour protéger la Terre», s'inquiète l'artiste, pour qui la «négligence à propos du réchauffement climatique» apparaît «catastrophique».

Des images qui ont des choses à dire


Dans un couloir, de nombreux cadres accrochent différents hommages crayonnés par des cinéastes d'animation aux nationalités très diverses. À plusieurs reprises, il fut invité à donner des conseils dans des studios d'animation à Paris, Tokyo et Los Angeles. «Ce qui m'étonne, c'est que mes films étaient appréciés non seulement pour le message, mais aussi pour la façon dont je les ai faits. Je n'ai jamais voulu présenter un style de dessin. J'ai utilisé spontanément ce qui me semblait être le moyen le plus rapide pour réaliser ces films.»

Des écoles en Italie, en Espagne et en France lui envoient des témoignages sur les trousses d'activités pédagogiques qu'il a conçues pour accompagner ses dessins animés. Frédéric Back reçoit de la correspondance de partout dans le monde, à laquelle il «essaie de répondre le plus possible» depuis la mise en ligne du site www.fredericback.com.

Cette vitrine dans Internet présente près de 6000 de ses dessins, gouaches et études. Un travail colossal de numérisation auquel sa fille Süzel s'est consacrée pendant près de sept ans. La même Süzel qui, à l'âge de 10 ans, avait écrit un texte sur la vieille chaise berçante jetée par la famille Back dans un fossé afin de la remplacer par une chaise «en métal qui était silencieuse et donc n'avait rien à dire». Un texte qui inspira le chaleureux court métrage Crac! avec lequel il prévoyait intéresser les Québécois. Ce film se révéla être un succès international et lui permit de remporter son premier Oscar en 1982. «Finalement, je n'étais pas trop à côté de la track», rigole-t-il doucement.

Un regret

«Ce que je regrette, c'est que je suis à peu près le seul qui a fait des films de ce genre. Maintenant, ce sont des films qui datent d'il y a trente ou quarante ans. On les utilise encore, mais je ne vois rien surgir dans les films d'animation qui soit dans ce genre de divertissement porteur de messages, d'idées, de motivations pour qu'on améliore notre façon d'agir.»

Il affiche cette déception alors qu'il considère que, avec les nouvelles technologies dans le domaine du dessin animé, «tout est possible». «On est entouré de sujets fantastiques à faire valoir, mais il n'y a personne qui s'intéresse à ces aspects. On divertit. On fait de la belle musique. On fait de belles images. On fait rire le monde. On radote aussi sur le passé, sur les choses immatérielles et irréelles qu'on imagine. Mais on est dans une réalité qui a besoin d'être défendue et protégée. Et ça, malheureusement, je ne vois rien qui prend cette forme-là, qui stimule, qui réveille les gens», déplore le cinéaste qui a consacré son talent à peindre de façon lumineuse la faune et la flore et à noircir les illusions du prétendu progrès.

«Le bonheur, ce n'est pas juste de passer son temps à s'amuser. Le bonheur, ça existe dans la mesure où on voit les problèmes autour de nous et qu'on les règle. Il faut participer au sauvetage de la planète», lance-t-il, souhaitant que son oeuvre soit une «inspiration» en cette époque qu'il juge «charnière».

***

Collaborateur du Devoir

***

Mise à jour du 18 novembre:

Frédéric Back nous signale que contrairement à ce qui est écrit, la famille Back n'a jamais jeté de chaise berçante dans un fossé. Cette histoire, qui a inspiré le film Crac!, fut inventée et imaginée par Süzel Back, alors que cette dernière était âgée de 10 ans.

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

À voir en vidéo