Ils sont les acteurs d'une autre mondialisation

Ce texte fait partie du cahier spécial Prix du Québec 2011
Le Québec doit être une terre d'innovation: tel est le slogan qui pourrait donner paroles au chant que répètent inlassablement les ténors économiques en cette ère où le mot «mondialisation» devrait figurer, lui aussi, en bout de l'autre rime. Si certains fredonnent, voire beuglent, ces airs, d'autres passent à l'action et accumulent les réalisations. Félicitations en cette année 2011 aux récipiendaires des Prix du Québec.
«Pour moi, il est une force de la nature impressionnante avec un des cerveaux les plus rapides, incisifs et créateurs qu'il m'ait été donné de rencontrer dans ma carrière scientifique. En plus d'être une véritable encyclopédie ambulante, cet être dynamique, motivé par les défis, éloquent et pragmatique, est incessamment centré sur les mécanismes physiopathologiques. Il est plutôt difficile à suivre. C'est un gentilhomme et un savant avec qui j'ai beaucoup aimé travailler.»Tout un hommage! Il est celui que rend un Jean Davignon, lui-même une autorité en son domaine, à Nabil Seidah, qui vient de se voir attribuer le prix Wilder-Penfield réservé à la recherche biomédicale, lui dont les travaux de son équipe à l'Institut de recherches cliniques de Montréal ont permis la mise au point de médicaments pouvant traiter plus d'une maladie de ce siècle, soit le mauvais cholestérol, l'anxiété, le cancer et autres maladies cardiaques. Rien de moins.
Et le même jour, c'était mardi dernier, à l'Assemblée nationale, l'oeuvre de Jean Grondin a reçu aussi reconnaissance. Si le fait qu'il reçoit le prix Léon-Gérin, qui consacre une carrière poursuivie en sciences humaines, n'en fera pas pour autant une star des émissions people, il n'en demeure pas moins que rares sont les philosophes qui ont pu inscrire, entre autres titres, dans leur curriculum vitae des ouvrages aussi majeurs que le sont Introduction à la métaphysique, Philosophie de la religion, Universalité de l'herméneutique et Introduction à Hans-Georg Gadamer. Si le Québec se félicite déjà d'être identifié aux productions d'un Klibanski ou d'un Brisson, il avait jusque-là attendu pour rendre hommage à celui pour qui Kant, Heidegger et Nietzsche sont des compagnons de pensée.
Savoir
Chaque année, les Prix du Québec mettent à l'avant-scène plus d'une et plus d'un qui ont travaillé, souvent dans l'ombre, à faire avancer les connaissances ou à produire des ouvrages qui transforment la connaissance des choses.
Ainsi, un soir, assis devant un téléviseur, il a été donné à plusieurs de revoir leur conception de ce qu'étaient la schizophrénie, ses causes ou le triste sort souvent réservé à qui en était atteint. Pourquoi? Janette Bertrand signait alors à Télé-Québec un télé-théâtre, un autre dont le volet informatif comptait autant que le développement dramatique de la trame: une chose que la récipiendaire du premier prix Guy-Mauffette a répétée durant plus de 600 heures dramatiques! Il y aurait des records Guinness qui seraient ainsi plus dignes de mention que d'autres...
Notoriété
Et on pourrait poursuivre ainsi la liste. Si le travail d'un Gilles Mihalcean, lauréat du prix Paul-Émile-Borduas, est à l'occasion vu dans un lieu public, plus d'un ignore en retour qui est l'auteur de cette oeuvre, quand d'autres ignorent que si le général de Gaulle se fait entendre dans un film de Jean-Claude Labrecque, c'est parce qu'un Marcel Carrière, lauréat du prix Albert-Tessier, a su trouver la façon d'enregistrer des paroles qui ont marqué notre histoire.
Par contre, par les ondes, les Jean Provencher, lauréat du prix Gérard-Morrisset, et Jacques Duval, lauréat du prix Georges-Émile-Lapalme, ont leur public, ce qu'aimerait pouvoir proclamer un Joël Des Rosiers, lauréat du prix Athanase-David: les poètes fredonnent souvent avant de pouvoir déclamer.
En retour, le nom d'un Yannick Nézet-Séguin est répété même à l'extérieur des salles symphoniques: si le récipiendaire du prix Denise-Pelletier a une tribune en étant à la direction de l'Orchestre métropolitain, il possède toutefois déjà, à 36 ans, une feuille de route impressionnante: n'a-t-il pas dirigé en neuf saisons, avec les risques que cela entraîne, pas moins de 60 orchestres différents?
Et il n'est pas le seul à faire la preuve que la valeur, comme on disait, n'attend pas le nombre des année: à 47 ans, Jean-Claude Tardif est non seulement directeur du Centre de recherche de l'Institut de cardiologie, mais il est aussi titulaire de la Chaire de recherche en athérosclérose de l'Université de Montréal. Le récipiendaire du prix Armand-Frappier évolue donc en recherches cliniques dans un réseau de partenaires qui rejoint quelque 2000 hôpitaux situés dans plus d'une vingtaine de pays. À lui seul, il établit que, si mondialisation il y a, le Québec en est un des acteurs.
Et qui fait des recherches portant sur le monde nordique ne peut le faire sans tenir compte des recherches d'un Serge Payette: lui qui reçoit cette année le prix Marie-Victorin s'attelle d'ailleurs à compléter Flore du Québec nordique, ouvrage qui découle de vingt années d'engagement à faire connaître cette autre flore, celle au nord de la laurentienne.
Liberté
Réalisations, donc, mais accomplies souvent à l'extérieur d'une tendance, l'actuelle qui voudrait que la recherche porte fruit immédiatement. À la création immédiate d'emplois, d'autres ont ainsi répondu que, mondialisation ou pas, il faut savoir investir pour qu'il y ait un jour rentabilisation effective et rentabilité réelle. Ainsi, un Nabil Seidah poussera un cri du coeur: «Il faut laisser aux scientifiques une liberté de pensée.»
Et si ce cri est entendu, qu'on sache que c'est tout le Québec qui ne déméritera pas. À l'heure des Prix du Québec, il faut admettre que certains et certaine, plus que d'autres, ont su faire oeuvre.
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