Prix Gérard-Morisset - Le patrimoine au fil des jours et des saisons

Ce texte fait partie du cahier spécial Prix du Québec 2011
Tout le monde connaît l'historien Jean Provencher. On a vu sa crinière à la Vigneault sur tous les plateaux de télé et entendu tout aussi souvent, à la radio, sa voix à géométrie variable selon le sujet. Communicateur enthousiaste de premier plan, Jean Provencher est devenu une sorte d'institution au fil des années.
Tout le monde connaît aussi la passion de Jean Provencher pour la petite histoire et les petits métiers, puisqu'il parle avec autant de verve et de facilité de la vie rurale traditionnelle dans la vallée du Saint-Laurent depuis les débuts de la colonie... que de l'évolution des transports dans la Vieille Capitale, du rôle des communautés religieuses dans l'histoire de Montréal ou encore de l'épopée des voitures d'eau sur le Saint-Laurent. En fait, on a l'impression que Jean Provencher a écrit sur tout, sur les gens comme sur les métiers qui n'ont jamais vraiment rien de petit au fil des saisons. Et c'est presque vrai...Une chance
Au téléphone, cet homme particulièrement attachant raconte ses débuts en mots tout simples, chaleureux, présent à la moindre inflexion de voix, voguant sur le sujet de sa vie avec l'aisance d'un fabricant de canots d'écorce, d'un maréchal-ferrant ou d'une fileuse de lin. Jean Provencher aime le monde qu'il décrit, quel que soit le sujet dont il parle; il aime surtout les gens dont il sait dire les habiletés comme les misères dans une langue limpide, riche de détails, coulante comme la vraie vie. Le voir sauter d'une roche à l'autre pour traverser la rivière aux Ânes ou le suivre — même au téléphone! — dans ses dérives organisées est un véritable plaisir.
Pourtant, tout avait commencé plutôt sec. Après avoir étudié à l'Université Laval avec Jean Hamelin — son «maître», dit-il avec émotion — Jean Provencher passe trois années à titre de secrétaire de la commission Dorion sur l'intégrité du territoire québécois, à la toute fin des années 1960. Puis, il publie son premier livre, Québec, sous la loi des mesures de guerre 1918, en 1971; l'ouvrage soulève un pan d'histoire dont peu de gens se souvenaient. Mais lorsqu'il publie ensuite sa biographie de René Lévesque en 1973, puis La grande peur d'Octobre 70 l'année suivante, la critique est assez violente. «Je me suis fait ramasser par Pierre Vallières dans Le Devoir, et, finalement, c'est une chance que les choses se soient passées ainsi», dit carrément l'historien.
Nous sommes déjà autour de 1976 et Provencher se fait drop-out de l'Histoire avec un grand H. Alors que, un peu partout au Québec, de Rapide Danseur en Abitibi jusqu'au Grand Détour à Matane, s'amorce «le retour à la terre», il s'installe bientôt avec femme et enfant dans une ferme qu'il vient d'acheter à Sainte-Anastasie. Il lit Mainmise, plonge dans la réalité quotidienne de la contre-culture dont il vit les valeurs à fond. «Comme l'ont fait plusieurs de ceux qui ont vécu la contre-culture à l'époque, dit-il avec un clin d'oeil entre les mots, j'ai appris à tout faire et à prendre le temps de regarder la nature qui nous entoure.» Bref, Jean Provencher devient le Jean Provencher que tout le monde connaît.
Provencher — qui ressemblait un peu à Jean Ferrat à l'époque, mais en beaucoup moins grand — affirme que c'est là, à faire ce qu'on fait quand on vit des rêves d'autosuffisance, d'économie collective et de réseaux à créer, qu'il a développé une admiration sans borne pour tous ces gens qui ont tricoté, depuis les débuts de la colonie, l'histoire de notre survie avec leurs mains de paysans. C'est là, en observant les fleurs et les oiseaux et les techniques de survie que sont au fond les paramètres de notre façon d'occuper le territoire, en se découvrant chaque jour un peu plus lui aussi, que Jean Provencher choisit de se faire historien du quotidien.
Le plus simple
Il y va à partir du plus simple, qui se révèle souvent le plus complexe: le temps. Le temps qui passe différemment au fil des saisons, que l'on vive en campagne au fond d'un rang... ou en ville à deux trajets d'autobus du bureau. En 1980, Provencher amorce la publication de la série qui va faire résonner son nom dans la tête de tout le monde: voilà C'était le printemps — la vie rurale traditionnelle dans la vallée du Saint-Laurent. En 1982 arrive C'était l'été... puis C'était l'automne... en 84 et C'était l'hiver... en 86. Ça y est, c'est parti jusqu'à Les quatre saisons dans la vallée du Saint-Laurent en 2010.
À partir de ce moment, Jean Provencher va se féliciter d'avoir choisi de se faire travailleur autonome, parce qu'il passera plus d'un quart de siècle à tenter de répondre aux «demandes d'enquêtes» qu'on lui proposera. En s'entêtant à prendre le temps d'observer, en fouillant aussi le moindre registre dévoilant une façon de faire comme une technique de mise en valeur du territoire, il s'amuse toujours à reconstruire de la façon la plus juste et la plus claire possible la trame de la petite histoire avec laquelle on bâtit la grande.
Il touche à tout, on l'a dit, et, dès le début des années 80 jusqu'à nos jours, il publie sans arrêt. Il plonge à répétition dans la petite histoire de la ville de Québec — il écrira même une pièce de théâtre avec Paul Hébert, Québec, printemps 1918, et un livre sur son carnaval! — étudie la vie de ses quartiers, décrit la transformation de ses lieux célèbres à travers le temps, se penche sur ses parcs, ses jardins... même ses oiseaux, avec Pierre Morency — on y revient toujours, surtout quand on a 22 mangeoires à remplir tous les deux jours!
Parler de lui — et parler avec lui, encore plus! — c'est parler d'un autre projet fou définissant aussi la contre-culture: prendre le monde à bras-le-corps! Le toucher, le connaître assez pour pouvoir publier un répertoire de tous les types d'outils pouvant permettre aux hommes de survivre et de vivre harmonieusement sur la planète. Quand on prend l'oeuvre de Jean Provencher dans son ensemble, on ne peut que retrouver l'esprit de ce qu'ont été pour sa génération le projet Whole Earth Catalog, de Stuart Brand, puis le Répertoire québécois des outils planétaires, de l'équipe de Mainmise...
Au total, Jean Provencher aura publié presque une trentaine de livres, seul ou avec d'autres, et c'est loin d'être fini, comme on le découvrira avec plaisir en le retrouvant dans son site Internet interactif (http://jeanprovencher.com). Il aura aussi travaillé comme conseiller pour une infinité d'émissions de télévision et de radio sur le patrimoine articulé au présent et au quotidien; il aura même, comme le soutient Serge Bouchard en appuyant sa candidature, redéfini la profession de vulgarisateur scientifique par son engagement lumineux... Ce qui n'est pas tout à fait étonnant, puisque Jean Provencher connaît bien les rouages du métier, lui qui est bénévole de longue date pour une radio communautaire de la Vieille Capitale.
À bien y penser, il ne manquait au fond que ce prix Gérard-Morisset du patrimoine pour le placer au-dessus du foyer de la maison de Sainte-Anastasie...
Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.