Jean-Marie Roy 1925-2011- L'architecte de la modernisation tranquille

Jean-Marie Roy
Photo: - archives Jean-Marie Roy

Architecte moderne et modernisateur, progressiste, ouvert sur le monde, Jean-Marie Roy, décédé jeudi dernier à Québec, a donné corps à la Révolution tranquille.

Le maître est souvent moins connu que ses oeuvres. Surtout en architecture, surtout au Québec. Jean-Marie Roy, décédé la semaine dernière dans la capitale nationale, son terrain de jeu professionnel privilégié, n'échappe pas à la triste règle amnésique.

Trop peu de gens non initiés le connaissent. Pourtant, tous connaissent et reconnaissent ses créations, ses constructions, ses oeuvres, signées seul ou en collaboration avec les partenaires de la firme Gauthier Guité Roy. Le complexe sportif de l'Université Laval (PEPS), par exemple. Ou l'externat classique Saint-Jean-Eudes, devenu le cégep de Limoilou. Le musée des Forges-du-Saint-Maurice à Trois-Rivières. Et puis les tours du Complexe Desjardins, à Montréal.

Le catalogue Roy compte des dizaines et des dizaines d'édifices, privés ou publics, une production rare à l'échelle québécoise. «Sa pratique très riche couvre plusieurs décennies, des années 1950 aux années 1990, mais surtout la période moderne, celle de la Révolution tranquille et de tous les bouleversements de la société québécoise», explique Martin Dubois, de la firme de consultants en patrimoine et architecture Patri-Arch. M. Dubois enseigne à l'École d'architecture de l'Université Laval. «C'est aussi un architecte qui se démarque par la qualité de ses oeuvres avant-gardistes. Il a su se renouveler au fil des années, mais il a toujours misé sur des créations abouties.»

Un succès immédiat

Jean-Marie Roy appartient en somme à une ère engloutie, quand cette société réputée distincte rêvait aussi en trois dimensions, se projetait dans une architecture et une urbanité progressistes, antitraditionnelles. Tout le Québec modernisait alors ses institutions et ses infrastructures à qui mieux mieux. Même l'église, celle du grand aggiornamento de Vatican II, ouvrait ses vitraux pour chasser une partie de l'air vicié.

Né avant la Grande Noirceur, en 1925, à Saint-Léon-de-Standon dans la région de Bellechasse, formé à l'Université de Montréal (promotion de 1953), le jeune diplômé profite d'un séjour en Europe pour s'imprégner de la grande architecture moderniste, celle de Le Corbusier en particulier, mais aussi d'Alva Aalto et Pier Luigi Nervi.

Sitôt rentré, il ouvre son propre cabinet, à Québec, en 1956. «Ses premières oeuvres sont vite remarquées par la hardiesse, la clarté et l'élégance de leur composition ainsi que pour la finesse de leurs détails à l'instar des meilleurs architectes européens d'alors, mais difficilement associables à une école de pensée ou à un architecte en particulier», résume le communiqué annonçant son décès.

L'étoile montante multiplie rapidement les commandes pour les écoles, les centres de recherche, l'université, mais aussi pour les musées, les centres médicaux, les immeubles à bureaux, les concessionnaires automobiles, les caisses populaires et les hauts lieux de la finance. Il construit également des couvents, des presbytères et des églises, toute une gamme de bâtiments religieux. Il affirme là encore un style résolument moderne, utilisant surtout le béton et le bois, pour produire des géométries complexes et parfaitement maîtrisées. Ces églises modernes impressionnent encore beaucoup à Saint-Joseph de Manseau, Saint-Denis de Sainte-Foy ou encore Notre-Dame de la Visitation aux Îles-de-la-Madeleine.

Tous les honneurs


Pour son exégète, une des oeuvres les plus marquantes du prince de l'architecture moderne se concentre sur le Campus intercommunautaire de Saint-Augustin, à Québec, une commande qui va fortement contribuer à asseoir la renommée du jeune architecte au milieu des années 1960. Des ordres de frères et de pères enseignants s'associent alors pour demander la construction d'une vingtaine de bâtiments.

«C'est une production avant-gardiste, dit M. Dubois. Jean-Marie Roy coordonnait les différentes réalisations confiées à d'autres architectes. Il a donné une cohérence à l'ensemble, par exemple en imposant des toits plats, l'utilisation du béton blanc, les bâtiments sur pilotis. C'est un très bel ensemble, intégré dans le paysage.»

Un des deux campus, demeuré un collège privé, est bien conservé. L'autre, le séminaire Saint-Augustin, à Québec, subit des modifications et des négligences jugées «malheureuses» par M. Dubois. Il peut d'autant plus porter ce jugement qu'il peaufine depuis un an une biographie professionnelle de Jean-Marie Roy. L'ouvrage sera lancé l'hiver prochain, au Salon du livre de Québec.

«Le livre est préparé avec l'École d'architecture, qui publie aux deux ans un ouvrage pour mettre en valeur la pratique québécoise, explique l'auteur. Jean-Marie Roy a accepté de collaborer à ce travail. Il nous a fourni beaucoup de matériel, mais malheureusement, il ne pourra pas voir le résultat final.»

De son vivant, M. Roy a reçu à peu près tous les honneurs possibles dans son domaine, y compris la médaille du Gouverneur général en architecture. Les documents liés à son travail sont intégrés aux archives nationales.

La firme fondée avec Paul Gauthier et Gilles Guité en 1966 a également profondément marqué l'architecture québécoise en formant des dizaines d'associés et de stagiaires. «Sans nécessairement parler de formes plus que de style, je crois que son plus grand héritage est là, dans les valeurs de la culture architecturale», conclut Martin Dubois.

Un de ses fils (André) est architecte, un autre (Stéphane) est scénographe, notamment pour le Cirque du Soleil, un troisième (Bruno) est graphiste. Sa fille (Nathalie) travaille dans le cinéma. Leur mère, Hélène Roy, a fondé Vidéo Femme en 1970, un important centre de production et de diffusion d'oeuvres vidéographiques indépendantes, surtout documentaires.

Jean-Marie Roy et son épouse étaient des collectionneurs passionnés d'art moderne. Lui-même a présidé le conseil d'administration du Musée du Québec (devenu le Musée national des beaux-arts du Québec, le MNBAQ dans les années 1980, au moment de son premier agrandissement). Les Roy y ont légué beaucoup d'oeuvres d'artistes québécois.

C'est d'ailleurs en l'église Saint-Dominique, jouxtant le Musée, qu'aura lieu la cérémonie des adieux, le samedi 19 novembre. Le MNBAQ s'agrandit encore sur le domaine des dominicains en ce moment, sous la signature de la firme OMA de Rotterdam, dirigée par le starchitecte Rem Khoolaas.

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