Grand-mère sainte Anne et les Innus

Des chanteurs autochtones ont pris part hier à la messe célébrée en innu et en français à la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré.
Photo: Yan Doublet - Le Devoir Des chanteurs autochtones ont pris part hier à la messe célébrée en innu et en français à la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré.

Sainte-Anne-de-Beaupré — Dans la grande basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré, les chants résonnent en innu. Et la messe, célébrée par le père Gérard Boudreault, est dite en innu et en français.

C'est que le 26 juillet est la date de la fête de sainte Anne, patronne des navigateurs et thaumaturge des malades. Et que les autochtones, les Innus en particulier, célèbrent avec dévotion cet événement depuis au moins 300 ans.

Les Innus y viennent de Schefferville, de Mingan, de Maniutenam ou d'Uashat pour y célébrer la grand-maman de Jésus et lui demander d'exaucer des faveurs.

«Dans la culture autochtone, les grands-parents sont très importants, alors sainte Anne, grand-maman du Christ, devient tshu kuminu tshithitua Anne, grand-mère bonne sainte Anne», explique Gérard Boudreault, missionnaire oblat qui retourne cet automne travailler dans les communautés innues de la Côte-Nord.

L'avocat innu Armand MacKenzie, de Schefferville, est venu à Sainte-Anne-de-Beaupré cette année accompagné de sa mère, Marie-Aster MacKenzie. «Cela prend deux jours pour venir ici, un voyage en train jusqu'à Sept-Îles et le reste en voiture», raconte-t-il.

Venu à Sainte-Anne en pèlerinage alors qu'il était enfant, Armand MacKenzie dit s'être réconcilié avec la foi catholique à la mort de son père il y a quelques années, après des années de révolte liées entre autres à son séjour dans les pensionnats.

«Je viens ici prier sainte Anne parce qu'elle exauce toutes mes prières, dit, en innu, sa mère Marie-Aster MacKenzie. Je suis une femme de foi qui prie beaucoup.»

Certains conseils de bande autochtones louent même des roulottes, dans le camping adjacent à la basilique, pour permettre aux membres de leurs communautés d'effectuer ce pèlerinage de neuf jours.

Selon le père Gérard Boudreault, le pèlerinage de la fête de sainte Anne, comme celui, le 15 août, de la fête de la Vierge Marie, coïncide avec l'époque où les communautés revenaient traditionnellement sur la côte, l'été, après avoir chassé et trappé durant l'hiver.

D'autres lieux de pèlerinage sont d'ailleurs consacrés à sainte Anne sur la côte; les îlets Jérémie, plus au nord, par exemple. «C'est aussi un moment de rencontre avec les autres membres de la communauté», raconte Armand MacKenzie.

Armand Mackenzie ajoute ne pas être à Sainte-Anne-de-Beaupré pour la forme, pour l'institution, mais bien pour le fond.

Selon Jean-Marie Vollant, de Pessamit, les autochtones, qui n'ont pas tendance à accumuler des biens, n'hésitent pas à économiser pour se payer ce voyage annuel, de préférence en famille. «Les Innus sont traditionnellement nomades, alors ils n'ont pas tendance à accumuler, mais pour la foi, ils vont faire cet effort», dit-il.

La traditionnelle neuvaine est par ailleurs aussi une occasion de célébrer en groupe. «Ma belle-mère a fait de la banique hier», dit Jean-Marie Vollant.

Le père Boudreault constate que la vie communautaire des autochtones permet une plus grande préservation de la foi, même si les jeunes y sont, comme ailleurs, soumis à de grandes influences de l'extérieur, notamment par la télévision.

Selon Armand MacKenzie, cela fait environ vingt ans que l'administration de la basilique Sainte-Anne a choisi de célébrer cette messe en innu. «Les Premières Nations sont très fidèles sur le plan religieux», relève Jean-Marie Vollant.

Reste qu'on compte aussi de nombreux pèlerins d'autres nationalités, en cet anniversaire de sainte Anne, notamment de la nationalité italienne.

On dit du culte de sainte Anne qu'il aurait été importé en Amérique du Nord par des marins bretons. Selon Pierre Caron, qui fait mention de Sainte-Anne-de-Beaupré dans son livre Vagabondages au Québec..., publié aux éditions de l'Homme, le premier miracle aurait eu lieu au sanctuaire en 1658. L'ouvrier Louis Guimond, qui travaillait à l'érection du temple, déjà placé sous le patronage de sainte Anne, y aurait été guéri instantanément des maux de reins chroniques qui l'empêchaient de travailler.

Cet événement, poursuit Caron, «fut bientôt connu de toute la colonie et aurait marqué le début d'une série ininterrompue de miracles au cours des années subséquentes».

Le tout mena à l'organisation du premier pèlerinage, en provenance du Château-Richer, cinq ans plus tard.

Même Marie de l'Incarnation écrivait à son fils, en 1665, qu'on y voyait «marcher les paralytiques, les aveugles retrouver la vue, et les malades, de quelque maladie que ce soit, recevoir la santé».

L'endroit s'appelait alors Petit-Cap. Ce sont les pères Rédemptoristes qui ont pris en charge la paroisse et les pèlerinages en 1878. Ils s'en occupent encore aujourd'hui.

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