Observatoire démographique et statistique de l'espace francophone - «L'avenir démographique de la francophonie va se jouer en Afrique»

Richard Marcoux, professeur au Département de sociologie de l’Université Laval
Photo: Source ODSEF Richard Marcoux, professeur au Département de sociologie de l’Université Laval

Créé en 2009, l'Observatoire démographique et statistique de l'espace francophone (ODSEF) a lancé un travail d'observation et de documentation sur la place de la francophonie dans le monde. Sous la direction de Richard Marcoux, professeur au Département de sociologie de l'Université Laval, cet observatoire est amené à jouer un rôle important dans notre connaissance de la francophonie et des moyens à mettre en œuvre pour assurer son avenir.

En 2010, une vaste étude internationale intitulée La Langue française dans le monde 2010, publiée chez Nathan, à laquelle a participé l'ODSEF, a révélé les bouleversements sociodémographiques de la francophonie à venir. Cette étude montrait notamment que, à l'échelle mondiale, la langue française se porte plutôt bien. Avec 220 millions de francophones dans le monde, répartis sur les cinq continents, le français est non seulement une langue parlée et étudiée mondialement, elle est aussi une langue de plus en plus utilisée.

Associée à un univers culturel réputé riche, elle est dotée d'une dimension prestigieuse qui en fait dans certains pays, comme l'Iran ou les Émirats arabes unis, une langue réservée à l'élite. À ce titre, elle apparaît comme une langue qui peut faire la différence dans un univers où tout le monde parle anglais.

Mais c'est surtout l'ampleur de l'évolution démolinguistique que souligne Richard Marcoux: en 2050, il y aura 700 millions de francophones sur la planète, dont 85 % sur le continent africain. «L'avenir démographique de la francophonie va se jouer en Afrique. Il s'agit d'une population qui connaît une forte croissance démographique — con-trairement aux pays occidentaux — qui est de plus en plus scolarisée et dont la langue d'enseignement est le français.» À titre d'exemple, le directeur de l'ODSEF remarque, à travers les recensements successifs, la croissance phénoménale de la francophonie au Mali: 66 000 personnes savaient lire et écrire en français en 1960, au moment de l'indépendance, contre deux millions au dernier recensement, en 2009. L'équilibre actuel des continents se verrait ainsi bouleversé: alors qu'aujourd'hui plus de la moitié des francophones se trouvent en Europe, cette part chuterait à 12 % dans 40 ans.

Enquêtes

Foyer de la plus grande augmentation des populations francophones, l'Afrique est donc au coeur des travaux menés par l'ODSEF et ses chercheurs. Ainsi, le premier objectif de l'ODSEF est un travail de sauvegarde du patrimoine démographique, particulièrement menacé en Afrique, qui passe par la numérisation des données recueillies par recensements. «Les recensements sont des outils riches pour les démographes. Ils permettent d'avoir des informations précises sur les pratiques linguistiques, culturelles, sociales et économiques des populations», souligne Richard Marcoux. Pour cela, c'est l'expertise québécoise et canadienne qui sera mise à contribution: «Nous avons une expertise en matière de sauvegarde des recensements: nous disposons d'informations sur notre démographie depuis 400 ans. Nous avons voulu rendre cela accessible et répéter ces programmes dans d'autres pays de la francophonie.»

L'observatoire vient de terminer avec succès la sauvegarde du premier recensement au Mali, en 1976, qui s'est soldée par la numérisation de 1,2 million de documents. À l'avenir, les efforts se tourneront vers les recensements de 1987, de 1998 et de 2009, ainsi que l'implantation de projets similaires en République démocratique du Congo et au Sénégal. L'ODSEF a également des échanges avec le Cameroun, le Bénin, le Burkina Faso et le Niger.

Le deuxième axe de recherche de l'ODSEF est un travail de documentation des dynamiques démolinguistiques et de la place du français dans le monde. L'ODSEF déploie, pour ce travail d'analyse démographique à grande échelle, un arsenal méthodologique précis, permettant d'obtenir désormais une idée plus juste de l'évolution de la francophonie. «Nous travaillons avec des organismes de statistiques qui ont des contacts sur toute la planète et nous nous appuyons sur des réseaux de chercheurs, notamment de l'AUF. L'ODSEF accueille par exemple une dizaine de chercheurs par an, surtout en provenance de l'Afrique. Nos travaux, utilisés par l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), améliorent l'estimation du nombre de francophones et de la place du français dans le monde», explique Richard Marcoux.

Contrastes


Le travail mené par les chercheurs de l'ODSEF éclaire des réalités démographiques et linguistiques contrastées. En effet, même si le français est la langue officielle dans une trentaine de pays, il se déploie dans des dimensions différentes: «Il y a une pluralité de rapports à la langue française. En Afrique, le français n'est pas toujours la langue parlée à la maison. Au Mali, par exemple, le français est la langue officielle, elle est la langue de la justice, des débats à l'Assemblée nationale et des médias écrits, mais elle côtoie une douzaine de langues nationales, dont la plus importante est le bambara. Le rapport à la lan-gue française n'est pas le même en Algérie, où, pendant 70 ans, il a été interdit d'enseigner l'arabe, ou encore au Québec, où le rapport à la langue est un rapport militant.»

Ce minutieux travail d'observation mené par l'ODSEF permet de mettre en place des stratégies claires pour assurer l'avenir de la francophonie mondiale. «Notre travail s'inscrit dans une lutte pour que la langue française continue d'être une langue importante», estime Richard Marcoux. Sur la scène internationale, le Québec bénéficie d'une expérience utile en matière de réflexion sur la place de la langue dans l'espace démographique. «Nous avons une expertise dans le domaine de la démolinguistique: nous avons une réelle politique linguistique, qui passe notamment par la loi 101 et l'Office québécois de la lan-gue française. Aucun autre pays ne pose autant de questions sur la langue.»

Ces stratégies d'intervention en matière linguistique seraient donc amenées à intégrer des politiques différentes selon les pays et à tenir compte notamment de l'articulation de l'apprentissage du français avec les langues locales, africaines et créoles. Alors que, en 2050, 92 % des jeunes francophones seront en Afrique, le maillon incontournable de l'avenir de la francophonie sera l'éducation. Pour augmenter la proportion de gens scolarisés en français, l'investissement dans l'éducation, l'appui de la communauté internationale et la coopération Nord-Sud joueront un rôle déterminant.

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Collaboratrice du Devoir

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