La Révolution tranquille délie la langue des élus

L’artiste Jordi Bonet a refusé d’enlever l’inscription controversée de la murale.
Photo: Louise Leblanc - Grand théâtre de Québec L’artiste Jordi Bonet a refusé d’enlever l’inscription controversée de la murale.

Québec — Tout comme la société québécoise dont elle doit être le reflet, l'Assemblée nationale, pendant les années 1960 et 1970, a connu plusieurs bouleversements. La «libération sexuelle», la disjonction graduelle entre l'Église et l'État, ainsi que les questions linguistiques ont fait l'objet de débats qui, vus d'aujourd'hui, font grandement sourire tantôt par leur caducité; mais aussi, parfois, par leur actualité. Dans l'esprit de notre carnet Web Mots et Maux de la politique, nous avons réuni quelques phrases illustrant ces aspects de la Révolution tranquille.

Enquête sur Femme d'aujourd'hui

Nous sommes le 6 décembre 1968: un ministre de l'Union nationale, Armand Maltais, s'en prend à l'émission Femme d'aujourd'hui de la télé de Radio-Canada parce qu'elle a consacré une heure à un disque de vinyle intitulé Ton sexe et l'autre sur la «sexualité des garçons et des filles de 10 à 12 ans». M. Maltais reproche à l'animatrice Aline Desjardins d'avoir montré à la télévision des «diapositives». Le risque est grave, soutient le ministre, qui cite le docteur Serge Mongeau, «spécialiste en sexologie»: «le disque, tombant entre les mains de personnes non compétentes ou de jeunes non contrôlés [pouvait] offrir des dangers en présentant la masturbation et les jeux sexuels comme les activités normales et fréquentes». Le jeune qui ne se «livrera pas à ces actes pourra alors se demander si ce n'est pas lui qui est anormal». Pire encore, Ton sexe et l'autre présente certaines moeurs sexuelles des jeunes en Océanie. Le ministre s'emporte en citant Mgr Raymond Lavoie, curé de la paroisse de Saint-Roch à Québec, fréquent contempteur de films «osés»: «N'importe quel agnostique pourrait réagir comme je l'ai fait [...] quand on est rendu à prendre les primitifs pour modèles. Ce disque nous est présenté comme le sommet de la civilisation quand il tombe dans le plus épais des matérialismes.» M. Maltais, se référant encore à Mgr Lavoie, ajoute: «Si nous continuons, comme peuple, à nous "enfarger" dans notre liberté, si nous continuons à vouloir neutrifier [sic] la vie sous prétexte de science, si nous continuons à servir des médicaments contre la constipation à des jeunes qui ont attrapé la diarrhée, je pense que nous allons disparaître comme nation canadienne-française.»

Solliciteur général de son état, Maltais conclut que «les pouvoirs publics ne peuvent pas rester indifférents» devant «une forme à peine déguisée de la perversion de la jeunesse». Il ne fait pas les choses à moitié et demande «aux officiers concernés du ministère de la Justice» d'instituer une enquête. Un an plus tôt, le Bureau de la censure était devenu le Bureau de la surveillance du cinéma (BSC).

Ce n'était pas la première fois en 1968 que les questions de censure de films à caractère sexuel étaient soulevées à l'Assemblée nationale. Quelques mois plus tôt, c'est un libéral, Émilien Lafrance, qui avait dénoncé le film danois I, a Woman: «La province de Québec, à l'heure actuelle, passe pour celle qui présente les films les plus salauds au monde. Nous sommes sur le point d'être envahis par tous ces films suédois sur le sexe qui, d'après un psychiatre suédois, causent actuellement une certaine folie. Il va falloir que cet organisme [le BSC] joue son rôle, sinon le premier ministre, qui veut opérer certaines réformes afin d'empêcher certains gaspillages, pourrait peut-être tout simplement le faire disparaître.»

La prière remplacée par un moment de recueillement


Le débat sur la prière dans les assemblées publiques n'a pas été lancé par le maire Tremblay à Saguenay. Dès son arrivée au pouvoir en 1976, le Parti québécois supprime la prière chrétienne et la remplace par un moment de recueillement. Certains s'en émeuvent. Ainsi, le 10 mars 1977, le député créditiste Camil Samson dépose une motion pour revenir à la «prière traditionnelle». «On n'est pas des païens, on n'a pas honte d'afficher notre foi et je pense que l'Assemblée nationale est l'endroit où nous nous devons, en tout premier lieu, de donner le bon exemple», déclare-t-il. Fâché qu'on lui refuse le consentement pour en discuter, il lance au gouvernement Lévesque: «Est-ce parce que le Bon Dieu semble vouloir leur faire trop mal ou si c'est parce qu'ils ont tellement peur du Bon Dieu, de ce côté-là de la Chambre, à ma gauche? [...] C'est la première fois qu'on a des prêtres en Chambre et c'est la première fois qu'on ne dit pas la prière!»

De l'utilité des dents et de la langue

Plusieurs déclarations de Camil Samson sont devenues célèbres. Réélu en 1976, Camil Samson, dans sa longue réplique au premier discours inaugural de René Lévesque, s'inquiète des problèmes économiques du Québec et soutient que ce n'est pas «la grande Charte de la langue» annoncée qui réglera ces mêmes problèmes. «Je suis de ceux qui n'ont pas honte d'être Canadiens français. Je suis de ceux aussi qui pensent que la langue est une chose très utile pour communiquer entre nous, mais c'est assez utile pour permettre aux aliments d'entrer dans l'estomac», déclare-t-il, suscitant la perplexité générale.

La murale du Grand Théâtre

Il y a quarante ans, le 26 février 1971, faisait rage le débat sur la murale de Jordi Bonet au Grand Théâtre de Québec. Au pouvoir lorsque l'inscription «Vous êtes pas écoeuré de mourir bande de caves» a été gravée sur la murale, l'Union nationale a tenté de convaincre l'artiste d'effacer la fameuse phrase de Péloquin en retenant un versement de 5000 $ d'honoraire représentant 10 % du total. Arrivé en poste en 1970, le nouveau ministre de la Culture François Cloutier consent à verser la somme. En Chambre, l'ancien ministre unioniste Jean-Noël Tremblay lance: «Le problème, au fond, en ce qui concerne M. Bonet, c'est une affaire de bière, de taverne, de mépris de la société québécoise!» Réplique le créditiste Yvon Brochu: «Vous êtes pas écoeurés d'en parler... Je vous fais grâce de la suite.»

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