Montréal sait-elle encore faire la fête?

Ce soir, la nuit de Montréal sera blanche et fofolle: métros, autobus, organismes culturels et services de police s'arriment, exceptionnellement, sur de l'insomnie collective. Et si c'était ainsi tous les week-ends? Certains aimeraient que Montréal pense une économie de la nuit. Un rêve?
«Avec les investissements publics et privés autour du Quartier des spectacles, on a créé un pôle majeur pour la vie nocturne montréalaise, qui part du boulevard Saint-Laurent et qui peut s'étirer, avec le Village, jusqu'à l'avenue Papineau. Avec l'arrivée du CHUM, on va avoir une masse critique de gens qui vont avoir besoin de consommer à toute heure», explique Jérôme Vaillancourt, directeur général de la Corporation de développement urbain du Faubourg Saint-Laurent (CDU).La CDU a mis en place un groupe de travail sur l'économie de la nuit. S'y trouvent des représentants de la Société de transport de Montréal (STM), le commandant du poste de police 21, la Société de développement commercial du Village, des représentants des résidants et des organismes culturels.
Monique Savoie, présidente de la Société des arts technologiques, boulevard Saint-Laurent, résume son problème: «Mon permis d'alcool me permet de vendre de la bière dès 8h le matin, ce qui ne me sert à rien. Ça date du temps où les travailleurs commençaient à l'usine à cinq heures. Maintenant, les horaires de travail sont autres, souvent atypiques, mais je dois, selon la loi, non seulement arrêter de servir de l'alcool à trois heures, mais mettre tout le monde dehors. On vide les bars et les espaces publics de Montréal, tous se retrouvent en même temps dans la rue, alors qu'il n'y a pas de métro avant 5h45. Un des problèmes de Montréal, c'est que les élus se couchent de trop bonne heure, ils ne voient pas ça!»
Ghislain Poirier, musicien et DJ, a pris position il y a quelques mois pour la vie festive. Il aimerait que Montréal soit l'égale de Barcelone ou de New York. «Je ne mène pas un combat pour le bruit, dit-il en riant au téléphone, mais pour la musique! Montréal est déjà près d'être une ville 24 heures sur 24: elle a ses restos, ses taxis, des bagels tout frais...»
Des lois en retard
Deux nerfs à cette guerre: le transport et l'assouplissement des permis d'alcool. À la Régie des alcools, des courses et des jeux, Réjean Thériault, aux communications, rappelle «que les lois sur l'alcool ici sont encore liées à la Prohibition, quand tout était interdit. Contrairement aux autres lois, si ce n'est pas écrit chez nous, c'est que c'est interdit! Il ne faut pas oublier que les lois sont toujours en retard sur la vraie vie. On est ouverts à pas mal de choses, on serait prêts à aller en consultation.»
Côté transport, la STM profite des nuits pour réparer lignes et voitures. Le métro et le transport adapté n'y sont disponibles, comme ce soir pour la Nuit blanche, qu'en d'exceptionnelles occasions. «Je n'aime pas imaginer ma fille de 19 ans en train d'attendre l'autobus de nuit à quatre heures du matin au coin de Saint-Laurent et Sainte-Catherine, illustre Monique Savoie. Si la loi changeait, je serais prête, sans vendre d'alcool, à garder ma gang de jeunes en leur servant des muffins et du café jusqu'à ce que le métro reparte.»
Jérôme Vaillancourt y va d'une idée: «Peut-être qu'avec l'arrivée des nouvelles voitures de métro, la STM pourrait se permettre des horaires étendus.» Pour lui, ces éléments font partie de la politique de la nuit que Montréal «n'a pas». «Elle n'a pas de cadre pour inclure la nuit dans l'offre touristique. Dans cette politique nocturne se trouvent des enjeux touristiques, économiques et sociaux. J'y mets aussi la question des transports et de la sécurité urbaine.»
Le groupe de travail sur l'économie de la nuit aimerait éventuellement consulter le géographe-urbaniste Luc Gwiazdzinski, spécialisé dans les villes ouvertes 24 heures sur 24. Le groupe entend remettre ses recommandations à Gérald Tremblay, tant comme maire de Montréal que comme maire de l'arrondissement de Ville-Marie, au mois de mai prochain.
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