Guignolée comme dans «gui l'an neuf»
Québec — À l'origine, la guignolée n'était pas portée par des bénévoles. Les pauvres eux-mêmes passaient de porte en porte pour réclamer des dons. Et pour convaincre les gens de donner, ils les menaçaient parfois d'aller pisser dans leurs récoltes!
À l'origine, la guignolée avait lieu au Nouvel An et provient de l'expression «O gui l'an neuf». «Le mot était une espèce de cri, de souhait pour la nouvelle année», explique Robert Bouthilier, un expert de ce qu'on appelle le patrimoine vivant.Pourquoi le gui? Parce qu'à l'époque, comme dans Astérix et Obélix, le gui était considéré comme une plante magique porteuse de santé. «C'est une plante qui ne meurt pas. Malgré l'hiver, elle ne se défeuille jamais.»
Les premières traces du terme «guignolée» remontent à 1403 et on y fait notamment référence dans l'oeuvre de Rabelais. «C'est une fête très ancienne qui n'était pas religieuse, mais de tradition populaire. On la retrouvait dans énormément de régions françaises comme la Bretagne, le Poitou, la Normandie, la Savoie...»
En cette époque de grandes inégalités, «l'année était parsemée de moments de partage» comme Pâques, la fête de la Passion et la guignolée du 31 décembre. «Des gens parmi les plus pauvres de la société passaient de maison en maison. Ils recevaient ce qu'on leur donnait, raconte-t-il. On donnait des oeufs, des pièces de viande, de monnaie.»
Au rituel se sont jointes toutes sortes de chansons qu'on assortissait parfois de menaces du genre «si vous ne donnez rien, on va pisser dans vos choux ou enlever vos filles».
Lui-même chanteur et conteur, Bouthilier a participé à des guignolées typiquement traditionnelles en Bretagne, la nuit. Et là-bas comme chez nous, le forfait comprenait de l'alcool... «À chaque maison, ils ouvraient la bouteille de cidre.»
Au Québec, la guignolée est apparue au tournant du XIXe siècle. «Ici, nous n'avions pas la masse critique sédentaire nécessaire pour perpétuer ça, explique M. Bouthilier. Ça semble avoir été récupéré par la Saint-Vincent-de-Paul au tournant du XIXe. Ça s'est ensuite décliné dans les paroisses comme une tradition annuelle.»
À partir de ce moment, ce ne sont plus les pauvres mais des bénévoles qui passent la guignolée. Quant à la chanson de la Guignolée telle que nous la connaissons, il s'agit de la version d'Ernest Gagnon, auteur du recueil Les Chansons populaires du Canada paru en 1865. «Il a écrit un beau texte là-dessus, c'est une des chansons qu'il commente le plus longuement.»
Très répandue pendant près d'un siècle, la traditionnelle guignolée perd ses adeptes avec la Révolution tranquille et la désaffection religieuse. Aujourd'hui relativement marginale, elle revit sous de nouvelles formes, comme la Guignolée des médias.
«On trouve ce genre de quêtes rituelles dans toutes les sociétés occidentales depuis le Moyen-Âge», ajoute M. Bouthilier. Dans le monde anglo-saxon, la tradition se vit dans les villes. Or là, «ce sont de petits enfants qui allaient chanter aux portes.» «L'Halloween est aussi un vieil avatar des quêtes rituelles païennes du monde celtique», ajoute-t-il. La tradition s'est perdue, puis elle est revenue «à travers le commerce au XXe siècle».
La guignolée se distingue toutefois de la vieille fête de la Mi-Carême à l'Isle-aux-Grues, lors de laquelle des adultes costumés vont de maison en maison. «C'est un autre type de tournée où il n'y avait pas de quête. La Mi-Carême est essentiellement ludique et s'apparente plus à la mascarade ou au Carnaval.»