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Le père abbé André Barbeau de l’abbaye Val Notre-Dame apprécie particulièrement les articles de fond du Devoir. «Mais la partie religion est faible. Je regrette qu’il n’y ait pas de jeunes journalistes pour s’intéresser au sujet avec un regard neuf.»
Photo: - Le Devoir Le père abbé André Barbeau de l’abbaye Val Notre-Dame apprécie particulièrement les articles de fond du Devoir. «Mais la partie religion est faible. Je regrette qu’il n’y ait pas de jeunes journalistes pour s’intéresser au sujet avec un regard neuf.»

Faire partie du Devoir, c'est y travailler, l'appuyer, le lire assidûment. De cette communauté, qui s'est construite depuis 100 ans, nous avons retenu quelques portraits. D'ici la fin de notre centenaire, nous vous présenterons un lecteur, une lectrice, du Québec comme d'ailleurs, abonné récent ou fidèle parmi les fidèles. Cette semaine, le père abbé André Barbeau parle du seul et unique journal admis dans son abbaye.

La philosophie mène à tout, c'est bien connu, à condition d'en sortir. Le père abbé du monastère cistercien Val Notre-Dame est passé par ce chemin de traverse, après une thèse sur Martin Heidegger, pour devenir un fin critique du Devoir. Et il était payé en plus pour le décortiquer.

«Après mon baccalauréat en philosophie, en 1971, j'ai lu une annonce offrant un poste dans un service d'analyse et d'indexation de l'Université Laval», explique dom Barbeau, rencontré avant Noël dans sa très belle et toute neuve abbaye de la montagne Coupée, à Saint-Jean-de-Matha, conçue par l'architecte québécois Pierre Thibault. «Je n'avais aucune idée de ce dont il s'agissait, mais il me fallait un travail et je l'ai obtenu. Le service avait un retard de deux ans d'édition à combler. J'ai passé cinq années à résumer tous les articles du Devoir et tous les articles de La Presse et du Soleil du samedi.»

Il pouvait alors se targuer de tout connaître de l'étranger proche et lointain, ou presque. «Je suivais l'actualité nationale et internationale, locale et provinciale», dit le moine de 60 ans, qui a été secrétaire général de son ordre et père abbé du très vieux monastère d'Aiguebelle, en Provence, pendant une décennie (1996-2006). «Je connaissais tous les journalistes du Devoir et je pouvais dire quelle proportion des articles du journal était signée par des agences de presse. Ça a été une passion et j'ai beaucoup aimé ce travail.»

Un lecteur sévère


L'entrevue se déroule dans une pièce fermée de l'hôtellerie, l'aile où les moines reçoivent les visiteurs pour des retraites introspectives de quelques jours. De temps en temps, le père abbé, élu par sa communauté il y a deux ans, fait basculer sa chaise sur deux pattes et se balance un peu.

«En fait, Le Devoir, j'ai commencé à l'apprécier pendant mon baccalauréat en philosophie, à l'Université du Québec à Trois-Rivières, qui avait une excellente faculté, poursuit-il. C'était en 1969, j'avais 19 ans et l'UQTR venait d'ouvrir. Dans un cours de logique, on devait analyser les éditoriaux du journal, ceux de Vincent Prince, Jean-Claude Leclerc ou Claude Ryan. On devait traduire l'argumentation selon les formules classiques. On devait suivre la pensée de ces auteurs et la décortiquer finement.»

Le sévère lecteur trouve les nouveaux éditoriaux «toujours bien argumentés». Il observe que la qualité des journalistes s'est améliorée dans certaines sections, par exemple dans les pages économiques, qu'il prend plaisir à dévorer le samedi. Les cahiers Culture et Livres lui semblent moins constants. «Ça fluctue dans le temps.» Il appréciait Nathalie Petrowski dans les années 1970 et 1980, comme il se plaît maintenant à lire Odile Tremblay et Danielle Laurin.

Souvent, les recensions guident ses propres achats de livres. Lui-même traduit de l'anglais, de l'italien, de l'espagnol et du latin. Il a par exemple publié dans une collection de l'abbaye une version française d'un livre du Dialogus magnus visionum ac miraculorum de Césaire de Heisterbach, un devancier cistercien du XIIe siècle qui propose en exemples des historiettes hagiographiques de miracle et de conversion.

Le savant père abbé apprécie particulièrement les articles de fond du journal, Le devoir de philo, par exemple. «Mais la partie religion est faible, enchaîne-t-il. Je regrette qu'il n'y ait pas de jeunes journalistes pour s'intéresser au sujet avec un regard neuf.»

De même, il accorde sa faveur aux commentaires des lecteurs ou de certains chroniqueurs sortant des clichés par rapport au sacré ou à l'Église. «Dans les médias comme dans la société, j'observe moins de l'anticléricalisme qu'une profonde ignorance de l'histoire du Québec et de la religion au Québec.»

Il cite l'exemple de la série documentaire Manifestes en série, beau portrait de groupe réalisé par le cinéaste Hugo Latulipe. «Chacun des thèmes abordés est excellent. Il n'en manque qu'un: la religion! En France, on en est revenu de cette tension et Dieu sait si la séparation entre l'Église et l'État y demeure importante.»

Ni télé ni radio

Le Devoir est le seul journal quotidien qui entre au monastère. Les exemplaires demeurent disponibles une semaine à la bibliothèque. C'est aussi le point de connexion principal des moines reclus avec le monde extérieur. Autrefois, certains repas du soir se faisaient accompagnés de la lecture à voix haute d'un article du journal. Maintenant, les frères sont libres de souper seuls, dans leurs cellules individuelles.

«Je ne le lis pas tous les jours parce qu'il n'y a pas des nouvelles importantes à chaque jour, dit dom Barbeau. Nous nous informons par les visiteurs de l'hôtellerie. Nous avons une bonne bibliothèque. Mais nous n'avons ni télé ni radio.»

En fait, il traîne un écran plat dans une salle, étrange cadeau de la Corporation de l'abbaye d'Oka, nouveau propriétaire du complexe conventuel délaissé par les moines. Le père abbé ne l'allume presque jamais. Cette année, la communauté a seulement regardé la trilogie documentaire Génération Y Mode d'emploi, de la documentariste Eza Paventi, diffusée à Canal Vie.

«Je trouvais important de nous renseigner sur les jeunes. Les frères ont été surpris par la relativisation d'un certain nombre de valeurs par cette génération, en particulier le travail. Ces jeunes sont ouverts sur le monde, bien au fait des nouvelles technologies.»

Bien peu lisent Le Devoir cependant. Pourtant, Internet aussi mène à tout, à condition de sortir de YouTube...

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