Un métier comme les autres - L'Institut Simone de Beauvoir de l'Université Concordia se prononce pour la décriminalisation de la prostitution

Selon Frances Shaver, sociologue de l’Université Concordia, les travailleurs du sexe ont en général de nombreuses autres expériences de travail, ce qui irait à l’encontre de l’argument selon lequel ils sont «confinés» à l’industrie du sexe.
Photo: Agence France-Presse (photo) Alfredo Estrella Selon Frances Shaver, sociologue de l’Université Concordia, les travailleurs du sexe ont en général de nombreuses autres expériences de travail, ce qui irait à l’encontre de l’argument selon lequel ils sont «confinés» à l’industrie du sexe.

L'Institut Simone de Beauvoir de l'Université Concordia se prononcera aujourd'hui pour la première fois pour la décriminalisation de la prostitution, en compagnie notamment de l'organisme Stella, qui vient en aide aux prostituées de Montréal. L'Institut, qui s'intéresse aux études féministes et aux questions de justice sociale, considère désormais que la prostitution doit être traitée comme un métier comme les autres.

Sans pour autant promouvoir la légalisation de la prostitution, les représentants de l'Institut croient, dans la foulée du jugement de la juge Susan Himel, de la Cour supérieure de l'Ontario, que les lois actuelles «font en sorte que les femmes [qui exercent la prostitution] se retrouvent plus en danger», dit Viviane Namaste, professeure à l'Institut.

L'institut se démarque ainsi de la position défendue jusqu'à maintenant par le Conseil du statut de la femme du Québec. Encore tout récemment, à la suite du jugement de la juge Himel, le Conseil du statut de la femme réitérait que, pour lui, «la prostitution n'est pas un métier et qu'il serait dommageable pour toutes les femmes — prostituées ou non —, ainsi que pour l'ensemble de la société, qu'elle soit légalisée».

Or, Frances Shaver, sociologue de l'Université Concordia qui a mené de nombreuses enquêtes sur la prostitution, à Montréal, à Toronto et à San Francisco, conteste pour sa part la crédibilité des données avancées par le Conseil pour justifier sa position. «Les données sur lesquelles se fondent les abolitionnistes ne sont pas valides d'un point de vue méthodologique», dit-elle.

Dans un document publié en 2002, intitulé Prostitution, profession ou exploitation, le Conseil du statut de la femme le Conseil reconnaît que la prostitution est un phénomène qui a été peu étudié au Québec, par manque d'intérêt des chercheurs, mais aussi à cause de «la difficulté, sinon l'impossibilité, de tracer un portrait juste et complet de la situation considérant la clandestinité qui entoure ce phénomène».

Comme les autres

Annick est une femme comme les autres, sans rouge à lèvres, sans bas résille ni talons hauts. Une femme en pantalon, chaleureuse, communicative. Il faut dire qu'Annick, de son ancien nom d'escorte, a «pris sa retraite» de la prostitution depuis deux ans. Un métier qu'elle a exercé, durant de nombreuses années pour payer ses études. Un métier qui ne l'a laissée ni violentée ni dépendante des drogues. «Juste un verre de vin avec le client, pour faire connaissance», dit-elle. En somme, Annick, qui a travaillé successivement à Toronto et à Montréal, principalement pour une clientèle d'affaires, qui a aussi tenu sa propre agence, a été une prostituée sans histoire. «Je ne suis pas "chanceuse" [de ne pas avoir été violentée ou arrêtée], dit-elle, je suis organisée».

«Je crois que c'est le cas de la majorité des prostituées», confirme pour sa part Frances Shaver.

Paradoxalement, la façon la plus «légale» de faire de la prostitution est de se rendre dans un lieu déterminé par le client. Or, c'est également l'approche la plus risquée. «On vit toujours dans le risque de voir plusieurs hommes sortir d'un garde-robe, par exemple», dit-elle.

Aujourd'hui, Annick travaille en relation d'aide pour l'organisme Stella, qui soutient les prostituées de Montréal. Selon elle, les données communément utilisées pour quantifier ou qualifier la prostitution sont basées sur des témoignages recueillis auprès de populations captives, soit en prison, par exemple, soit dans les centres de désintoxication.

Déboulonner des mythes

De son côté, Frances Shaver déconstruit certains mythes entourant la prostitution. Elle avance, par exemple, que les travailleurs du sexe ont en général de nombreuses autres expériences de travail, ce qui irait à l'encontre de l'argument selon lequel ils sont «confinés» à l'industrie du sexe. Citant des études effectuées à Victoria et dans les Maritimes en 2001, Frances Shaver établit que l'âge d'entrée dans la prostitution est entre 16 et 18 ans, plutôt qu'à 13 ou 14 ans, comme on l'entend souvent. Selon Frances Shaver, l'usage de drogues dures, y compris l'héroïne, le crack, et d'autres formes de cocaïne, varie beaucoup selon le lieu de l'étude et le sexe des prostituées. Ainsi, alors que les femmes prostituées de San Francisco se sont avérées de grandes consommatrices de drogues dures, ce sont les hommes et les transgenres qui étaient les plus nombreux à en consommer au Canada. Enfin, comme la juge Himel, Mme Shaver considère que les prostitués travaillant dans la rue sont plus à risque que les escortes et les danseuses de se faire arrêter et de vivre de la violence. L'Institut Simone de Beauvoir donnera une conférence de presse aujourd'hui à Montréal sur sa position sur la prostitution, en compagnie de représentants de Stella et d'autres partenaires.

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