Le Devoir, c'est moi - Un air de famille

Pour le cofondateur du journal L’Itinéraire, François Thivierge, le fait de lancer un journal pour donner la parole aux itinérants était un geste tout naturel. Son père, Marcel, a travaillé au Devoir, comme directeur de l’information et chef de pupitre.
Photo: - Le Devoir Pour le cofondateur du journal L’Itinéraire, François Thivierge, le fait de lancer un journal pour donner la parole aux itinérants était un geste tout naturel. Son père, Marcel, a travaillé au Devoir, comme directeur de l’information et chef de pupitre.

Faire partie du Devoir, c'est y travailler, l'appuyer, le lire assidûment. De cette communauté, qui s'est construite depuis 100 ans, nous avons retenu quelques portraits. Chaque lundi, jusqu'en décembre, nous vous présenterons un lecteur, une lectrice, du Québec comme d'ailleurs, abonné récent ou fidèle parmi les fidèles. Parmi ceux-ci, certains ont d'ailleurs su faire rayonner la mission civique que ce journal s'est donnée dès son origine.

Le Devoir, François Thivierge l'a fréquenté très tôt, dès son plus jeune âge. Au moment de sa naissance, en effet, son père, Marcel Thivierge, était directeur de l'information et chef de pupitre au quotidien alors dirigé par Gérard Filion.

Cet homme «libre et motivé», comme le décrira Gilles Lesage dans un hommage publié au moment de son décès en 1990, quitte les bureaux de la rue Notre-Dame pour remplacer Pierre Laporte, qui vient de se joindre à «l'équipe du tonnerre», au poste de correspondant parlementaire à Québec. Il occupe cette fonction pendant cinq ans, une période d'effervescence alors que la Révolution tranquille est en marche. Il met ensuite ses compétences à profit dans la création du ministère des Communications.

De l'époque où son père travaillait pour Le Devoir, François Thivierge, n'a que de vagues souvenirs: «J'avais neuf ans quand il a quitté, mais je me souviens que mon père m'emmenait parfois dans des "scrums" [...] J'ai plus des souvenirs de cohue, de boucane, tout le monde attendait avec son carnet et son crayon que les politiciens sortent.» C'est plus tard qu'il a pu profiter de l'influence journalistique de son père dont il dit qu'il «est resté "journaliste" toute sa vie».

Prendre le «bord» de la rue

Le jeune adulte qu'est devenu François Thivierge en 1982 se fait embaucher comme travailleur de rue par le Centre Préfontaine, un centre de désintoxication pour les personnes itinérantes situé rue Rachel, dont l'édifice abandonné a connu son heure de gloire médiatique pendant sa transformation en squat politique à l'été 2001. Lui et son collègue d'alors, devenu depuis humoriste, Jean-Marc Parent, ont pour mission de «travailler avec le noyau dur de l'itinérance», de trouver des moyens de sortir de la rue des gens «qui n'entraient pas dans les structures, n'acceptaient pas les normes».

Pendant ses années de travail dans la rue, François Thivierge se sert de l'approche d'«empowerment», dont l'objectif est de donner du pouvoir aux personnes itinérantes et de les faire participer à la recherche de solutions à leurs problèmes. C'est dans cet esprit que ce diplômé en arts visuels aidera des gens de la rue dans leurs démarches administratives, les amènera à participer à des consultations publiques et à des colloques au sujet de l'itinérance et convaincra certains de ses «gars» et l'équipe de Janette Bertrand à faire un Parler pour parler au lendemain de l'Année internationale des itinérants, qui s'est tenue en 1987.

Le groupe communautaire L'Itinéraire, qui voit le jour en 1990 grâce au soutien financier du Centre Préfontaine, est également issu de cette mouvance. «Quand on a trouvé du logement aux gens, ils nous ont dit qu'ils voulaient aussi un local», explique François Thivierge. Un logement, quand on a été longtemps dans la rue, ça peut aussi être ressenti comme une prison: le besoin d'en sortir et d'avoir un autre lieu à fréquenter est fort. «Mais ils ne voulaient plus aller dans les centres de jour pour itinérants parce qu'ils n'étaient plus itinérants.»

Le groupe l'Itinéraire donne donc naissance à un café, lieu d'entraide pour ces personnes, mais aussi un espace idéal pour l'élaboration des projets qu'elles souhaitent réaliser.

La naissance d'un journal

Cette même année, le travailleur communautaire autodidacte sent le besoin «d'aller chercher des notions» et s'inscrit au baccalauréat en travail social. Il décide de réaliser son projet de stage de fin d'études dans le cadre de son travail, dont l'objectif est de créer un outil de prise de parole, de participation citoyenne. Lui vient alors l'idée de mettre sur pied un journal: «Je n'ai pas vu d'autre chose que ça!»

Il consulte alors les membres du groupe l'Itinéraire pour leur demander si le projet les intéresse aussi. Trois femmes, Micky Wilson, Pierrette Desrosiers et Denise English, répondent positivement à sa proposition. François Thivierge leur apporte alors une copie de la une du premier numéro du Devoir et leur lit l'éditorial d'Henri Bourassa, «Avant le combat». Le texte inspire l'éditorial du premier numéro du journal L'Itinéraire, publié, avec peu de moyens, à 1500 exemplaires au printemps 1992 et distribué aux organismes d'aide aux itinérants.

Le printemps suivant, une édition spéciale vendue dans la rue pour financer le groupe montre qu'il y a de la place à Montréal pour un journal de rue. C'est ainsi qu'apparaît et se développe, avec le travail acharné des membres du groupe, des intervenants et journalistes qui les entourent, et l'aide d'un policier qui croit en leur démarche, le réseau de camelots qui vendent L'Itinéraire un peu partout dans la ville.

François Thivierge occupera diverses fonctions au sein du journal pendant ses premières années d'existence puis partira en 1997. L'organisateur communautaire avoue que c'est après la mise sur pied du journal de rue qu'il s'est rendu compte que l'héritage «journalistique» de son père avait peut-être à voir avec ce projet de stage.

«Pour moi, c'était normal, un journal; je savais comment ça fonctionnait, la production d'un journal, la salle de rédaction... C'était une atmosphère connue.»

François Thivierge est toujours membre du groupe L'Itinéraire, mais ne s'y implique plus activement. Il est rendu ailleurs: «Moi, mon travail, c'est de mettre sur pied des projets et, quand ils vont bien, je laisse aller.» Une autre façon de mettre en pratique la devise du quotidien, «Fais ce que dois»...

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