Les ruelles aux citoyens!

En plein cœur de Montréal, Monique Rozenfarb est étendue sur une chaise longue, sur le gazon de sa... ruelle, au milieu des plantes exotiques soigneusement entretenues par elle et ses voisins. On se croirait à des lieux du carré Saint-Louis, dont l'animation perpétuelle est pourtant toute proche. Cette ruelle champêtre qui longe la rue Drolet est l'une des nombreuses ruelles vertes de Montréal, par lesquelles les citoyens se sont réapproprié cette zone publique qui s'étend juste derrière chez eux.
Nous sommes en compagnie d'Ivan Drouin, de l'organisme Kaléidoscope, qui propose une visite guidée des ruelles vertes du Plateau-Mont-Royal. Cette ruelle est une ruelle champêtre. Plus tôt dans la visite, on a aussi visité une ruelle privée, que les habitants ont rachetée pour un dollar, et dont ils sont désormais propriétaires. C'est le cas de la petite rue Demers, qui n'est d'ailleurs pas une authentique ruelle puisqu'elle porte un nom, et qu'une maison ancestrale y affiche fièrement une adresse.Il y avait aussi la ruelle des artistes, que les résidants ont tapissée de miroirs et de fleurs, et aussi la ruelle des carriéristes, une sorte de raccourci que les transporteurs de la belle pierre de Montréal empruntaient jadis, à partir de la rue Gilford. Fait à noter, précise M. Drouin, cette rue devait s'appeler la rue Guibord, du nom du célèbre Joseph Guibord, excommunié au XIXe siècle parce qu'il était membre de l'Institut canadien, boycotté par l'Église. Est-ce un hasard si un fonctionnaire municipal fit une erreur en se trompant durablement dans l'orthographe du nom de sa rue éponyme?
Apparition au XIXe siècle
On dit que les ruelles on fait leur apparition à Montréal à la moitié du XIXe siècle, dans le Golden Square Mile. Alors que les portes cochères disparaissaient graduellement, ces ruelles donnaient accès aux arrières-bâtiments des maisons cossues. Le mot «ruelle» pour sa part désignait, dès le XIVe siècle, en français, l'espace laissé, dans une chambre, entre la tête d'un lit et la muraille pour couper l'alcôve du froid, ajoute Ivan Drouin.
Raphaëlle Groulx, qui a travaillé durant une dizaine d'années à l'écoquartier du Plateau-Mont-Royal, fait remonter aux années 1980 l'idée de verdir les ruelles de Montréal. C'était l'époque où les propriétaires étaient par ailleurs invités à détruire les hangars, nids à feu très présents dans les ruelles. Mais le projet Place au soleil «meurt dans l'oeuf», selon Raphaëlle Groulx, entre autres parce qu'il n'était pas le fruit d'une initiative des riverains des ruelles.
Aujourd'hui, il faut que le projet de ruelle verte soit porté par ses habitants pour voir le jour. «Si on veut aménager seulement 25 % de l'espace de la ruelle, on n'a pas besoin de l'accord de l'ensemble des riverains», précise-t-elle cependant. Ces ruelles demeurent d'ailleurs un espace public.
Depuis 2000, Raphaëlle Groulx dit avoir parrainé le verdissement d'une vingtaine de ruelles dans l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal, souvent reconnu comme un chef de file dans le domaine. Mais il y a aussi des ruelles vertes entre autres dans Rosemont, à Verdun, ou dans Hochelaga-Maisonneuve.
Rapprocher les citoyens
La ruelle verte est souvent un véritable facteur de cohésion sociale. On se partage les tâches de plantations d'arbres, d'entretien des plantes, etc. «Ce qui coûte le plus cher, c'est l'excavation. On excave pour créer des plates-bandes de un ou deux pieds de profond», dit Raphaelle Groulx. Évidemment, les résidants, principaux intéressés par la ruelle verte, doivent mettre la main à la pâte pour l'ensemble du projet.
Exit les livreurs de glace, de charbon, guenillous et autres affûteurs de couteaux qui les peuplaient jadis. Aujourd'hui, hormis la collecte des déchets des rues bordées de pistes cyclables, pendant la saison estivale, il n'y a pas de services aux citoyens qui sont offerts dans les ruelles. L'industrialisation a invité les habitants à se doter de sécheuses plutôt que d'utiliser les cordes à linge, et l'érection de clôtures autour des cours arrière a donné aux ruelles un caractère souvent glauque et inquiétant. Ne parle-t-on pas de «chat de ruelle», de «fille de ruelle», ou de «rat de ruelle»? lance M. Drouin. Or, les ruelles vertes, avec leur lot d'épluchettes de blé d'Inde et leurs corvées collectives, avec leurs fêtes de quartier et leurs plates-bandes fleuries, arrivent à point nommé pour redorer leur image.
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Rectificatif
À côté de l’article publié dans Le Devoir du mercredi 13 octobre sur les ruelles de Montréal, c’est bien André Brisebois qu’on retrouvait sur la photo et non André Beauharnois. Nos excuses.