Le Devoir, c'est moi - Entre l'espoir et le cynisme

Lisette Champagne a commencé à s’engager socialement en militant pour la souveraineté du Québec au moment de la formation du Parti québécois, en 1968. Aujourd’hui, elle déplore, entre autres choses, la guerre d’image qu’est devenue la politique.
Photo: - Le Devoir Lisette Champagne a commencé à s’engager socialement en militant pour la souveraineté du Québec au moment de la formation du Parti québécois, en 1968. Aujourd’hui, elle déplore, entre autres choses, la guerre d’image qu’est devenue la politique.

Faire partie du Devoir, c'est y travailler, l'appuyer, le lire assidûment. De cette communauté, qui s'est construite depuis 100 ans, nous avons retenu quelques portraits. Chaque lundi, jusqu'en décembre, nous vous présenterons un lecteur, une lectrice, du Québec comme d'ailleurs, abonné récent ou fidèle d'entre les fidèles, qui cherche ainsi, comme c'est le cas cette semaine, à mieux comprendre où s'en va le Québec.

Que ce soit en tant que militante souverainiste de la première heure ou pour avoir oeuvré à la défense des droits des travailleurs, Lisette Champagne a connu une bonne partie des grands bouleversements sociaux et politiques des dernières décennies. Elle pose d'ailleurs un regard à la fois sévère et lucide sur le Québec d'aujourd'hui, ce «pays» jamais abouti qui se détache lentement de ses idéaux de solidarité et laisse son destin entre les mains d'une classe politique qui a perdu de son panache.

Si son jugement peut sembler pessimiste, il n'en découle pas moins d'une riche expérience de plus de 40 ans. Mme Champagne a en effet commencé à s'engager socialement en militant pour la souveraineté du Québec au moment de la formation du Parti québécois, en 1968. À l'instar de plusieurs personnes qui ont vécu de près les événements de l'époque, elle s'en souvient d'ailleurs comme d'une période de joyeuse effervescence.

«Tout était possible pour l'indépendance, pour la cause des femmes, pour les Noirs aux États-Unis, etc. Il y avait une joie de vivre, une solidarité et une ouverture envers les autres. Quand on se sent chez soi, c'est toujours plus facile d'ouvrir la porte. Ce qu'on ressentait partout, c'est tout un pays qui était prêt à entrer dans la parade.»

Un sentiment qui se serait malheureusement perdu au fil des années. «On ne ressent plus cette effervescence. Et beaucoup de gens de mon âge se sentent comme ça. Mais je sais que ça fait "nostalgique" de le dire. Ça ne reviendra jamais, alors ça ne sert à rien d'attendre. Si tu veux qu'il se passe quelque chose, mets ton nez dans ce qui se passe maintenant.»

Comment se motiver


C'est justement là le problème, au dire de Mme Champagne, qui souligne qu'il est de plus en plus difficile de trouver la motivation de s'engager. Elle n'en conserve pas moins le désir de s'informer. Si elle apprécie autant Le Devoir, c'est justement pour «l'intelligence» avec laquelle il traite des questions sociales et politiques. Même chose du côté de la chronique, en particulier celle de Michel David. Ce qui ne l'empêche pas de lire le quotidien de la rue De Bleury pour son côté parfois plus ludique, en l'occurrence son chroniqueur Jean Dion.

Même si elle dit continuer de soutenir l'option souverainiste et la nécessité de protéger les acquis sociaux des dernières décennies, elle déplore la guerre d'image qu'est devenue la politique. Une situation qui contribue à alimenter le «cynisme» de la population.

Elle se dit d'ailleurs tout à fait d'accord avec les propos qu'a déjà tenus l'analyste politique Michel C. Auger sur le plateau de Tout le monde en parle. Celui-ci avait déploré les lacunes dans le «contrôle de la qualité» des leaders politiques. Il ne croyait pas si bien dire. «Il y a une marche très haute entre les politiciens d'il y a 25 ou 30 ans et ceux que nous avons aujourd'hui. Je trouve qu'on n'a pas de sens critique à l'heure actuelle. On reste toujours à la surface. On ne pousse pas. On ne parle pas de "vision".»

«Un homme comme Jean Charest, c'est quoi sa vision?, lance-t-elle. Il n'en a pas. Il y a un trou quelque part, on va le boucher. Mais on n'a jamais entendu parler d'une vision, de ce qu'on va faire avec notre pays — parce que c'est comme ça que j'appelle le Québec, même si on est huit à dire ça aujourd'hui. Au fédéral, j'ai le choix entre Stephen Harper et Michael Ignatieff. J'ai juste envie de rester chez nous. Au contraire, un homme comme Pierre Elliott Trudeau, que je déteste profondément, avait une vision. Il savait ce qu'il voulait faire.»

La solidarité

Reconnaissant elle-même le côté quelque peu «pessimiste» de ses propos, Mme Champagne insiste sur la nécessité de remettre en question les décisions prises par nos élus. Pourquoi, par exemple, doit-on absolument remplacer le toit du Stade olympique, avec tous les coûts que cela comporte? Et pourquoi ne parle-t-on pas davantage de l'enjeu crucial de l'accès au logement? «Le moindre petit terrain est accaparé pour construire des condos, souvent avec une seule chambre. Tu as tout intérêt à être tout seul dans la vie! Pourquoi construit-on tout cela, alors que plusieurs familles avec des enfants habitent dans des trois et demi.»

Celle qui a déjà travaillé à l'organisme Au bas de l'échelle — un groupe voué à la défense des droits des travailleurs — souligne qu'il faudrait plutôt retrouver un peu plus de cette solidarité sociale qui fait de plus en plus défaut. «On revient à une période où une certaine élite a davantage de privilèges, même si plusieurs de ceux qui sont dirigeants syndicaux, médecins ou hauts fonctionnaires ont profité des politiques visant l'égalité. Mais l'égalité des chances ne s'est jamais réalisée. Ça ne veut pas dire que ça ne peut pas changer.»

À voir en vidéo